PATRICIA PATTYN (Un chêne sorti de Terre)

PATRICIA PATTYN (Un chêne sorti de Terre)

Dans son livre « Mon enfance assassinée », Patricia Pattyn trouve le courage de lever le voile sur le calvaire vécu par de nombreux enfants nés pendant ou au lendemain de la guerre à l’intérieur des campagnes éloignées de toute humanité.

 

I/ A l’état brut

Patricia Pattyn est née le 18 mars 1947 sous le signe du poisson.

Elle n’aura pas le temps de goûter à l’insouciance de l’enfance. La violence ne laissera aucune place à l’expression de la légèreté de ses traits de caractère inconscient.

On peut, peut-être retenir sa peur de grandir, cette envie de rester un bébé toute au long de sa vie. Cette volonté est souvent observée chez le benjamin d’une fratrie. Néanmoins, nous ne pouvons affirmer avec certitude que les sévices subis alors, n’ont fait qu’accentuer ce phénomène.

De la même façon, j’ignore si Patricia aurait bénéficié d’une entière confiance en elle si elle n’avait pas ce vécu. Ce que je pense pouvoir affirmer en revanche, c’est qu’elle ne souffrirait pas de ce panel de phobies qui dicte sa vie.

Patricia Pattyn se voit comme quelqu’un de peureux, de honteux, d’insignifiant.

Pourtant beaucoup serait mort d’avoir su souvent eu peur, de devoir subir ces supplices dans le silence assourdissant, accompagnés de cette infâme solitude. Patricia a eu le courage de survivre. Les bourreaux n’ont aucun mal à se débarrasser de leur propre honte sur le dos de leurs victimes, tournant ainsi le courage en peur, la souffrance en honte, l’importance d’une âme bien vivante en corps meurtri insignifiant.

Arrêtons de pactiser avec ces monstres en mettant en avant leurs qualités morbides dans nos médias, nos discussions, nos pensées terrifiantes. Et occupons nous plutôt d’accompagner les victimes sur le chemin de la résilience.

 

II/ Un environnement familial

Sa mère, Lucienne, est née en 1918. Sa famille étant plongée dans la pauvreté d’après guerre, elle dû travailler dès son plus jeune âge. A 13 ans, elle fut abusée par son patron. C’est à l’âge de 18 ans qu’elle se marie avec celui qui deviendra le père de Patricia Pattyn.

Cheminot de profession, cet homme alcoolique écumera les excès de violence envers sa femme ainsi que ses enfants.

Malheureuse, sa mère, dotée d’un physique avantageux prendra l’habitude de se consoler dans les bras d’autres hommes.

Elle a trois frères et une sœur : Roger, l’ainé solitaire, né en 1937, qui finira par reproduire l’inceste dont il a été victime ; Pierre, le rebelle, né en 1942 qui fuguera à de nombreuses reprises malgré les coups qui l’attendent à chaque retour ; Marie-Claire, la silencieuse, née en 1943, attendra la fin de son adolescence pour créer une relation fraternelle avec sa petite soeur ; Jean-Marie, le protecteur, né en 1945, veillera sur Patricia jusqu’à ce que le décès de leur mère ne les sépare.

Mais face aux coups, aux humiliations, puis quelques années plus tard, aux viols, l’instinct de survie poussera la fratrie à s’écarteler voyant en chacun de ses membres, tel un miroir, le reflet de ses propres peurs, de sa propre honte, de ses propres douleurs.

A la suite du décès de son père causé par sa mère, Patricia connaîtra un beau père violent et violeur.

A l’annonce du décès de sa mère et de son compagnon, elle passera les vacances chez son oncle incestueux. Sa tante, Marthe, se rendra comme complice de son mari, par son aveuglement face aux regards pervers de son mari.

Le lien fraternel est généralement un lien d’amour, d’amitié, de soutien, d’écoute, de réconfort. Patricia et ses frères et sœurs prouvent que pour aider son prochain, aussi proche de nous qu’il soit, il faut être sain soi-même. Or, dans certaines familles, comme celle des Pattyn, la douleur commune peut couper tout dialogue laissant chacun vivre sa souffrance en solitaire. On n’arrêtera jamais de prôner la nécessité de parler pour exorciser la douleur. Mais cette thérapie est rarement bénéfique lorsqu’on la partage avec quelqu’un qui vit ici et maintenant les mêmes problèmes que nous.

 

III/ Ses échecs, ses blessures

Peu après sa naissance, Patricia Pattyn rejoint ses frères et sœur dans le coin de la maison où survivaient les enfants de la famille : la cave. Elle était privée de nourriture et voyait ses frères et sœurs se faire attacher pour mieux recevoir les coups de poing ou de tisonnier.

Sa mère, ne supportant plus les coups infligés par l’homme de la famille, mettra fin aux jours de ce dernier avec l’aide d’un homme et de ces deux fils ainés. Mais elle n’imagine pas, à ce moment là, que l’homme qu’elle rencontrera un mois plus tard, prendra à cœur de remplacer le géniteur dans son rôle de bourreau, infligeant de nouveaux sévices jusqu’alors inconnus par la famille, assassinant à jamais l’insouciance de ses jeunes enfants.

Cet homme avait 18 ans, soit dix ans de moins que Lucienne. Dès leur rencontre, il se mit à la recherche d’une maison pour accueillir ses nouvelles victimes. C’est après avoir quitté le village de Cassel dont les voisins ne supportaient pas d’entendre les cris des enfants battus, qu’il trouva une cabane isolée du reste du monde.

Ici, ils vivront à même le sol dans le froid, dormiront sur une paillasse, et seront une nouvelle fois, privés de nourriture et battus.

A quatre ans, elle doit parcourir plusieurs kilomètres dans le froid hivernal, chaque jour, pour mendier de l’autre coté de la forêt ou à la frontière belge pendant que ses frères servaient de passeurs de cigarettes et de café entre la Belgique et la France. Ils ignorent alors que l’argent qu’ils feront ainsi gagner au bourreau servira à financer la moto et le fusil qui les terrorisera à chaque coucher de soleil.

En plus de sa souffrance, elle souffrait de la douleur ressentit par sa mère suite à l’opération qu’elle avait subit suite à la perte de son sixième enfant lorsqu’elle était encore avec son ex mari. L’opération vite faite, mal faite, obligera la mère à garder des agraffes. Mais, celles-ci ne résistaient pas aux coups du nouveau mari, et le ventre de cette martyre se rouvrait laissant couler le sang. Patricia devait alors vider le pot ensanglanté mis sous sa paillasse.

Mais pour Patricia, il y a un avant et un après.

C’est à l’âge de cinq ans que la vie de Patricia bascula à jamais.

Quelques mois auparavant, le bourreau n’avait fait « que » regarder à travers les culottes des deux fillettes. Mais c’est un jour de Mars, alors qu’elle n’avait que cinq ans, que son enfance s’envola dans une douleur inhumaine. Le reste de la fratrie partis, elle se retrouva seule avec le monstre qui profita de cet instant pour la violer. A partir de ce jour, cet acte inhumain entrera dans la routine de sa misérable vie. Après chaque viol, elle courra à la rivière pour laver le sang qui coule d’entre ses cuisses et tenter irrémédiablement de laver sa mémoire du souvenir de ce sexe, de ce regard amusé, de cette douleur. Puis elle se cachera dans son taillis attendant chaque fois le retour de sa famille, pétrifiée. Pourtant, elle ne dira jamais rien à sa mère, ni à ses frères et sœur. Pire, la honte, la culpabilité et la peur que quelqu’un sache, se rajoutera au nombre déjà incalculable de préoccupation de la petite fille. Même si elle se doute qu’elle n’est pas la seule à subir cette incompréhensible inhumanité. En effet, sa sœur était souvent trainée jusqu’au frère amputé du bourreau avec lequel elle se retrouvait seul alors qu’elle n’avait que huit ans.

Puis vint le « jeu de la moto ». Lui armé d’un fusil sur sa moto rouge, eux sans autre outil que leurs jambes frêles pour courir. Chaque soir, il laissait les enfants se cacher, puis allait à leur recherche. Le premier qu’il trouvait se voyait basculé en travers de la moto et rammené dans la cabane. Une fois la victime de ses sévices sexuels quotidiens choisit, le reste de la fratrie rentre à la fois soulagé mais aussi horrifié de savoir que tout le monde n’a malheureusement pas eu leur « chance ».

C’est à l’âge de 7 ans que Patricia Pattyn perdit sa mère dans un accident de moto où son beau père trouvera aussi la mort. La nuit suivant le drame, les enfants dormirent à l’hospice. Mais Patricia est la seule de la fratrie à ne pas comprendre que sa mère est décédée. Elle se retrouve alors encore un peu plus seule dans ce cauchemar qu’elle ne conçoit pas.

Elle attendra longtemps le retour de sa mère, mais aussi celui de son bourreau. En effet, chaque nuit, elle cherchera la lumière de la moto rouge.

C’est lors de l’enterrement de sa mère qu’elle a rencontré pour la première fois ses oncles et tantes maternelles.

Chaque enfant est alors placé chez un membre de la famille. Patricia sera accueilli chez sa tante Denise où plutôt dans son cabanon à outils où elle prendra la mesure, chaque nuit, de la punition grandissante qui l’attendra si elle retourne chez son bourreau.

Une semaine plus tard, elle sera confiée à sa tante Alice qui aura besoin de main d’œuvre pour glaner dans les champs afin de gagner de l’argent.

Ici, elle apprendra à se servir de couverts, découvrira l’utilité des toilettes et appréciera l’eau de la pompe. Mais elle obtiendra surtout un court instant de répit loin des coups et des viols, même si l’œil pervers du grand père de ses cousines suivra chacune de ses toilettes pour lesquelles elle devra mettre à nu son corps meurtri à la vue de tous.

A la fin de l’été, les cinq enfants firent placés en orphelinat. Dès leur arrivée, leurs vêtements tout neufs ont été troqués contre ceux que personne ne voulait, laissant les leurs aux privilégiés. Leurs noms ont été échangés contre des numéros. Patricia deviendra alors le numéro 74. Ici, elle subira les humiliations comme celle de faire le tour de la cour en courant, sa culotte sale sur la tête, lorsqu’elle n’aura pas su se retenir d’aller aux toilettes ouvertes seulement deux fois par jour. Elle y connu aussi le pinçon, le tapis à piques, le martinet à plomb, le cachot… Ainsi qu’aux attouchements d’autres orphelines.

A partir de ses 13 ans, Patricia passa toutes ses vacances chez son oncle Georges qui était aussi son tuteur officiel. Mais le seul homme en qui elle avait confiance deviendra son nouveau bourreau et la violera chaque fois qu’il se retrouvera seul avec elle.

Enfin, à l’âge de 15 ans, voulant fuir loin de son oncle, elle trouva un emploi de femme de ménage auprès d’une famille bourgeoise. Malgré ses efforts quotidiens pour être à la hauteur des exigences de sa patronne, Patricia n’aura pour seule nourriture que les restes. Puis, réduite à l’esclavage, les coups de cravache ne tarderont pas à pleuvoir. Elle quittera son emploi à la suite d’un malaise provoqué par tous ses mauvais traitements et qui lui offrira six mois en maison de repos.

 

Je pense que le mot choqué n’est qu’un euphémisme pour décrire ce que nous ressentons tous à la lecture de parcours comme ceux de Patricia Pattyn.

Pourtant certains ont vu, ont entendu mais n’ont rien dit. La violence et l’inceste à l’intérieur d’une cabane ou d’une maison. La violence à l’intérieur d’une institution tenue par des bonnes sœurs.

Nous sommes horrifiés par tant de malheurs aujourd’hui, face à un récit nourrit de détails inimaginables. Mais l’histoire de Patricia ne doit pas nous faire réfléchir un soir, seul dans notre lit, mais nous faire agir tout au long de notre vie, face aux situations dont les victimes n’auront pas d’autres possibilités que de taire l’innommable.

 

IV/ Sa réussite

A partir d’un certain âge, les corvées de l’orphelinat ne sont plus que matérielles. Elles peuvent aussi prendre forme humaine avec la prise en charge d’un enfant plus jeune que soi. C’est à l’âge de 11 ans que Patricia se vit confier le numéro 124 pour une semaine. C’est à ce moment qu’elle découvrit ce qui pouvait s’apparenter à l’amour maternel. Elle s’occupait de Claudine, la protégeait, l’aimait irrévocablement. Finalement, ce qui ne devait durer qu’une semaine se prolongea, pour la première fois dans l’histoire de l’orphelinat, durant deux ans.

Alors qu’elle a rarement reçu l’amour, qu’elle n’a jamais reçu la protection, Patricia sait aimer ; Patricia sait protéger.

Après six longues années à subir les humiliations et maltraitances de l’orphelinat, le moment qu’elle avait tant attendu arriva : la porte qui s’était ouverte alors qu’elle n’avait que 7 ans, allait enfin se refermer derrière ses pas. Encore une fois, Patricia Pattyn avait survécu à l’horreur.

A la demande de sa sœur, elle rejoint la maison de redressement où on s’inquiéta enfin pour elle. Les bonnes sœurs tentent de la questionner sur la vie qu’elle mène en dehors des institutions. Même si ses secrets sont bien gardés, ces dernières restent à l’écoute de Patricia en tentant de la guider au mieux.

Après être entrée à l’école à l’âge de 10 ans, et malgré les moqueries des autres élèves, Patricia passa ses nuits à réviser pour se maintenir au niveau de ses camarades. Contrairement à ce que pense son entourage, Patricia finira par obtenir son certificat d’étude à l’âge de 15 ans.

Pour la récompenser, les sœurs l’envoyèrent à l’hôpital pour qu’elle puisse subir une opération destiné à estomper les douleurs que lui procurent ses pieds.

Suite aux six mois passés en maison de repos après son malaise, Patricia décida de travailler dans un service pédiatrique, loin des hommes pervers, proche des enfants malades. Elle posa donc une candidature à l’hôpital de Lille, où elle fut embauchée. Elle put enfin donner toute son énergie, son temps, son amour à de petits êtres fragiles. Ses insomnies lui permirent de travailler dans l’équipe de nuit. Elle se mit à travailler dur, jusqu’à 16 heures par jour. Puis, le travail à l’hôpital devint une excuse pour ne pas rentrer chez son oncle pendant les fêtes.

Epuisée d’être le témoin impuissant de la détresse et de la mort bien trop fréquente d’enfants innocents, allié à la fatigue des heures accumulées et du harcèlement à distance de son oncle, Patricia pris la décision de quitter l’hôpital pour partir en clinique privée.

Elle commença alors par le ménage et le service des plateaux repas. Mais manquant du contact humain, elle fit part à son directeur, de son envie de partir nuit et jour à la découverte des différents services afin d’obtenir son diplôme d’infirmière. Elle se mit alors à travailler sans relâche jonglant entre les heures à l’hôpital et les heures d’apprentissage. Elle échoua à l’examen, mais n’abandonna pas l’année suivante.

Puis vint le jour dont elle a rêvé pendant tant d’année : le 18 Mars 1968. Elle a 21 ans et prend le train en direction de la maison de son oncle pour la dernière fois. Les papiers sont signés.

Patricia est libre et en vie.

Même s’il est difficile de partager son malheur devant le miroir de notre propre douleur, nous surmontons souvent les obstacles de notre vie par l’aide que nous offrons aux autres. Après s’être tut, nous voulons exorciser les âmes de souffrances inavouées. Après avoir tant pleuré, nous avons besoin de redonner le sourire aux visages attristés. Après avoir tant souffert, nous avons besoin de mettre du baume aux cœurs meurtris.

Alors, nous n’attendons pas de merci. Nous n’attendons rien en échange. Mais notre inconscient connaît aussi la magie du miroir. Sourire pour faire sourire son prochain. Puis sourire d’avoir donner le sourire. Des actes parfois simples qui nous mèneront, quelques soit le chemin parcouru, à la fierté. La fierté d’avoir la force de porter son prochain, la fierté d’avoir contribuer à la réussite de son prochain, la fierté de sa propre réussite La fierté d’être soi, vivant, malgré tout

 

Si l’histoire de Patricia Pattyn vous inspire, je vous conseille de lire son autobiographie « Mon enfance assassinée » sur laquelle je me suis appuyée pour la rédaction de cet article. (Ceci est un lien d’affiliation)

 

Et toi, as-tu déjà été témoin d‘un cauchemar dont une victime ne peut se sortir toute seule ?

Qu’as-tu fait ? Comment t’es- tu sentis ?

Selon toi, qu’elle vitesse de frappe faut-il pour démolir le mur du son ? Faut-il attendre que l’irréversible mort vienne le fracasser ?

 

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