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Catégorie : Ils ont décidé de vivre

Interview d’Halimata Fofana

Interview d’Halimata Fofana

Aujourd’hui, je vous propose de découvrir le parcours d’une jeune fille qui perdra son insouciance à l’âge de cinq ans, dans l’atrocité de l’excision.

 

Aujourd’hui, je vous invite à découvrir le parcours d’une adolescente qui sera contrainte au silence de sa souffrance.

 

Aujourd’hui, je vous invite à découvrir une femme qui a décidé de se relever, de parler, de vivre.

 

 

Halimata Fofana est l’auteur du livre « Mariama, l’écorchée vive ».

 

Vous pouvez commander son livre sur http://www.karthala.com/hors-collection/2981-mariama-lecorchee-vive.html ou sur Fnac.com : Mariama, l’écorchée vive (ceci est un lien d’affiliation)

 

 

Bonne inspiration

 

 

TRANSCRIPTION

 

Salut à tous, c’est Jennifer Racine, blogueuse sur http://inspiremoidetavie.com et biographe familial.

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de rencontrer Halimata Fofana, auteur du livre « Mariama, l’écorchée vive ». Elle a accepté de me raconter son histoire, que je vous laisse découvrir dès maintenant.

 

Jennifer : Bonjour Halimata.

Halimata : Bonjour Jennifer.

Jennifer : Alors déjà, je te remercie d’être venue.

Halimata : Merci à toi pour l’invitation.

Jennifer : Ce n’est pas facile pour une première d’accepter comme ça, aussi facilement, alors merci beaucoup.

Je voudrais que tu me parles un peu de ton parcours. Pour commencer, j’aime bien parler « A l’état brut ». C’est à dire : comment tu es née ? Où tu es née ?

Halimata : Alors, je suis née à Longjumeau dans l’Essonne, dans le 91, pas très loin d’ici, en région parisienne. Alors, j’ai 35 ans, j’ai eu 35 ans le 13 janvier dernier. Je suis issue d’une famille de six enfants. Mes parents ont immigré du Sénégal vers la France dans les années 60-70. Et nous, la fratrie, nous sommes tous nés en France.

Alors, dans mon parcours, j’ai grandi dans une banlieue défavorisée, dans une cité, j’ai été dans des écoles, qu’on appelle ZEP.

Jennifer : Moi aussi.

Halimata : Voilà, on se retrouve là-dedans. Je pense qu’on est nombreux à avoir fréquenté des ZEP. Mais bon, comme quoi on peut s’en sortir, il n’y a pas de fatalité. J’ai été à l’école primaire, au collège, et après j’ai fait un lycée professionnel où j’ai fait un BEP hôtellerie restauration option cuisine, que je n’ai pas eu. Suite à cela, j’ai passé une année à travailler dans les médias en tant qu’assistante de production. Puis, j’ai rencontré quelqu’un qui travaillait pour la boite de prod d’Arthur. Je me souviens, il m’avait dit, Halimata reprends tes études, c’est mieux pour toi. Et je l’ai écouté, j’ai préparé l’équivalence du bac en lettre, le DAEU, Diplôme d’Accès aux Études Universitaires, c’était à Epinay Villetaneuse, que j’ai eu, que j’ai obtenu. Suite à cela, j’ai préparé un DEUG en art, puis une licence puis deux années de prépa en littérature et en histoire.

Jennifer : Courageuse.

Halimata : Quand on a envie, surtout quand on a la passion, on y va et suite à cela, j’ai travaillé dans les médias avant mon départ pour le Canada.

Jennifer : Beau parcours.

Halimata : Merci Jennifer.

Jennifer : Quand tu étais enfant, tu définirais comment ton caractère ?

Halimata:Ça dépend, avant ou après ?

Jennifer : Avant.

Halimata : OK, alors avant, j’étais quand même une petite fille assez docile, qui a envie de faire plaisir. Qui a surtout une envie d’être… Moi quand j’étais petite fille, je rêvais d’être fille unique. C’est ce que je voulais, je voulais être fille unique, je trouvais qu’il n’y avait rien de mieux que d’être fille unique. Alors ce n’était pas vraiment le cas puisqu’on était six, mais j’étais une petite fille qui rêvait beaucoup. Qui rêvait d’un avenir meilleur. Depuis petite, j’avais compris ça. Y a une scène même, dont je parle dans mon livre où je vais par la fenêtre et je regarde vers où habitait mon amie et je rêvais d’avoir ses parents, d’avoir son appartement, sa chambre, son lit, parce qu’elle était fille unique. Et j’enviais cela. Mais j’étais quand même assez docile. Très, très docile même. Gentille. Voilà.

Jennifer : Ça répond un peu à ma question, mais quels étaient tes rêves, tes grands rêves, du coup ?

Halimata : Quand j’étais petite, petite fille ?

Jennifer : Petite fille oui.

Halimata : Je voulais ressembler à tout le monde, je ne voulais pas me distinguer, je voulais être dans le moule. Tu vois ? Comme nous étions différents, comme mes parents viennent d’ailleurs, ils ont un accent… Et moi je ne voulais pas ça. Je voulais être la plus discrète possible. Et sinon, de quoi je rêvais d’autre ? C’était… C’est vraiment une bonne question parce qu’on m’a jamais posé cette question, c’est pour ça qu’il me faut du temps pour réfléchir. Surtout quand j’étais petite fille, je rêvais vraiment, c’est d’avoir une autre vie, que celle que je vivais. J’étais dans une espèce de projection. La vie que j’avais petite ne me convenait déjà pas.

Jennifer : Donc t’essayais de vivre par procuration en fait ?

Halimata : Voilà, beaucoup dans les livres, ou sinon en regardant beaucoup, en observant beaucoup les autres. Ça, ça m’a beaucoup, beaucoup aidé.

Jennifer : Très tôt.

Halimata : Très, très tôt ouais.

Jennifer : D’accord. Donc ta situation familiale. Qui sont tes parents ? Comment tu les définirais ?

Halimata : A l’heure actuelle ?

Jennifer : Tout au long du parcours.

Halimata : Bah ça a changé. Vous savez le regard change au fil du temps. A l’heure actuelle, je trouve que mes parents sont très courageux. Mes parents, ils ont fait comme ils ont pu avec ce qu’ils avaient. Je vous ai dit, mes parents sont arrivés en France dans les années 60-70, ils ne maîtrisaient pas la langue. Alors ils ne maîtrisaient ni la lecture, ni l’écriture. Alors c’est très, très dur quand vous arrivez, c’est un peu dans un autre monde, quand vous ne maîtrisez pas cela et vous  ne maîtrisez pas les codes, ce n’est quand même pas facile. Alors ils ont eu six enfants, ils les ont élevé, on s’en est tous sorti, alors je leur tire mon chapeau. A l’heure actuelle, je suis en mesure de vous dire cela. Il y a dix ans, j’aurai sans doute tenu un autre discours. A l’époque, j’étais quand même, très, très rebelle. J’en voulais à me parents, j’en voulais à mes parents de ne pas être comme les autres, j’en voulais à mes parents de ne pas nous aider comme quand je voyais mes amis où les parents étaient très présents, d’un point de vue physique, ils étaient là pour leurs enfants, mais aussi d’un point de vue financier. Ça c’est quelque chose que je trouvais injuste, qu’ils avaient le droit à cela et pas moi. Alors que maintenant je sais qu’ils ont fait comme ils ont pu. Mais à l’époque, je voulais vraiment que mes parents, puisse nous aider concrètement et que sinon, c’était trop dur pour nous.

Jennifer : Et du coup, quelle éducation ils t’ont donné ?

Halimata : Alors mon éducation, nous avons eu une éducation Ouest Africaine. Pas l’ouest Africaine … De campagne ouest africaine, c’est plus juste. Nous sommes trois filles, trois garçons. Parce que nous étions des filles, nous avions des tâches qui nous incombaient. Parce que nous étions des filles, nous avions des devoirs et beaucoup moins de droits. Et quand on était un garçon, c’était l’inverse. C’est plus sympa d’être un garçon que d’être une fille. Il y avait des choses basiques qu’on ne pouvait pas, comme faire du sport. On ne pouvait pas faire de sport parce qu’on était des filles et les filles ce qui était important c’était de maintenir la maison. Nous, en tant que filles, on nous préparait à devenir des épouses et à être des mères. Alors très jeunes, on nous met ça dans la tête. On ne nous a pas laissé grandir. L’objectif, il faut grandir vite, vite, vite, vite, vite parce qu’il va falloir que tu saches tenir ta cuisine, il va falloir que tu saches tenir ta maison, alors il faut aller le plus vite possible. Alors c’était une enfance assez dure sur ce point de vue, là. Il y a aussi une enfance ou on éduque beaucoup avec la violence. Beaucoup, beaucoup avec la violence. Et ça, c’est très, très difficile. Où il y a qu’un seul chemin, et si vous ne prenez pas le chemin et bah ça peut vous coûter très cher. Mais il y a un seul et même chemin. Vous voyez ? Et c’est… Moi j’étais un peu rebelle, un peu beaucoup, alors je prenais un peu la tangente, mais ça me coûtait. Tu vois ?

Jennifer : Oui

Halimata : C’est dans ce sens, là. C’est à dire, une éducation stricte, très conservatrice, où on éduque les enfants avec beaucoup de violence et où on ne nous prépare pas à nous accomplir. Tu vois ?

Jennifer : Oui.

Halimata : On te dit pas : « bah vas-y, le plus important c’est que t’es un métier dans lequel t’es épanoui. » Non, non. Depuis petit on doit te dire, ce qui est le plus important, toi c’est que tu te maries et que tu ais des enfants. On va mettre ça dans la tête des filles.

Jennifer : Il n’y a pas d’enfance en fait. On est adulte directement.

Halimata : Oui, on n’a pas le temps. Et surtout quand c’est une fratrie où nous avons peu d’écart. L’objectif c’est que les grands grandissent pour pouvoir aider la maman. Tu vois ? C’est dans ce sens, là. Et on ne fait pas des enfants, l’objectif, ce n’est pas de… A l’heure actuelle, quand on fait un enfant, c’est qu’on décide d’avoir un enfant. On est dans un couple et on a envie de s’en occuper, on a envie de le choyer… Mais là, on fait des enfants parce qu’il faut faire des enfants. La réflexion ne va pas jusque, là. Tu vois ? On ne se pose pas la question « j’ai envie, j’ai pas envie », non.

Jennifer : « Comment on va l’éduquer ? »

Halimata : Non, non, non, non. Là on est loin

Jennifer : « Ce qu’on va lui apprendre ? Comment on va l’élever ? »

Halimata : Ah non là on est loin, loin, loin, loin, loin. On est loin de tout ça. Les enfants, ils arrivent, c’est comme si un peu, ils tombaient du ciel, tu vois. Voilà, ils arrivent, maintenant il faut s’en occuper. C’est ça. Ils sont là. C’est pour ça qu’on ne se pose pas de question. On se marie, et on se marie pourquoi ? Pour faire des enfants. C’est à dire que la sexualité féminine est uniquement reproductive. C’est rien d’autre. Tu vois ? Tu comprends le contexte ?

Jennifer : Oui, oui.

Halimata : Et c’est pour ça, qu’aux petites filles, même maintenant à des adultes, quand tu discutes un peu avec elles, elles vont te dire… Elles ne vont pas te dire « Bah ouais, j’ai envie d’avoir tel type d’emploi, j’aspire à ça ». Non, parce que c’est l’éducation, c’est là où on se rend compte de la force, c’est que, adulte on finit par croire ce qu’on nous a inculqué. On ne le remet pas vraiment en question.

Jennifer : Oui, c’est très dur de sortir de tout ça.

Halimata : Oui, c’est très dur de sortir de cela. Surtout qu’on n’a pas parlé d’un thème, je pense que tu vas aborder plus tard.

Jennifer : Oui

Halimata : Alors je te laisse l’aborder. Mais on est quand même dans un environnement où l’individu n’existe pas, où c’est le groupe qui prime sur l’individu. Raison pour laquelle on ne se marie pas pour soi mais pour consolider les liens familiaux. Ce qui veut dire que ce n’est pas toi qui va choisir ton mari.

Jennifer : Tu ne choisis pas ?

Halimata : Non, ça va être la famille qui va choisir untel parce que c’est bon pour la communauté. Que ce soit bon pour toi…

Jennifer : La communauté…

Halimata : Oui. Tu vois c’est penser de manière… Penser en groupe. Se penser en groupe et pas en tant qu’individu. Tu vois ? Et déjà petite, on te prépare à ça. Et petite on te fait croire qu’en tant qu’individu, tu n’existes pas et que ce qui prime, c’est le groupe. Mais quand tu grandi là-dedans, tu finis par le croire.

Jennifer : Forcément.

Halimata : Et c’est très, très dur de déconstruire ça. Ça prend beaucoup de temps, ça prend des années. Tu vois ?

Jennifer : Et tu retiens… Qu’est- ce qu’ils t’ont appris tes parents ? Qu’est-ce que tu retiens aujourd’hui ?

Halimata : La force de travail, ce que j’ai appris c’est la force de travail, le goût du travail bien fait, et, le plus important, même si c’est pour un euro, mais que tu l’ais gagné à la sueur de ton front. Ça, ce sont des valeurs que mes parents m’ont inculqué. Le courage aussi. Moi j’ai vu ma mère faire des ménages dans les écoles et ce n’est pas facile. Dans les écoles, dans les établissements scolaires, elle est même tombée. Ma mère, elle est très, très courageuse, moi je lui tire mon chapeau. Arrivée en France, elle s’est vraiment débrouillée, elle a pris aussi des cours alphabétisation. Elle s’est débrouillée, mais, il y a quand même la tradition qui reste. C’est ce que je dis souvent lors de mes conférences [Je vais pauser ça quand même

Jennifer : Tu peux le garder.

Halimata : Non, mais j’avais ça dans la main comme un micro, en train de parler]

Je dis souvent dans mes conférences, que les gens, quand ils arrivent en France, ils ne laissent pas leurs bagages culturels à l’aéroport. Les gens viennent avec. Et avec tout, tout.

Jennifer : Oui mais ça peut être une richesse aussi.

Halimata : Ca peut être. Oui, moi je pense qu’il y a les deux. Mais après le propre de l’adulte, c’est de savoir dissocier ce qui est bon et pas bon. Tu as raison, il y a des aspects positifs, comme ce que j’ai dit, le courage, la détermination, l’honnêteté, le sens de la parole.

 

Halimata : C’est aussi ça qui fait que les gens ne disent rien.

Jennifer : Oui, mais peut-être en parler en sein de la famille ?

Halimata : Non, ça non, c’est tabou.

Jennifer : Parce que c’est la sexualité en fait ?

Halimata : Oui, voilà, c’est lié au sexe de la femme. Vous savez, même d’autres… J’ai reçu de nombreux messages de femmes qui ont subi la même chose que moi. Le temps a passé, mais elles sont incapables d’en parler. Et de le dire aux vues et aux yeux de tous, « j’ai subi l’excision », les femmes n’en parlent pas, les femmes… C’est là que je montre… Ce qui est important de montrer c’est à quel point les non-dits sont forts dans cette question, là. Des femmes qui ont subi et qui sont maintenant… Qui travaillent, qui sont parfois mère de famille, elles vont refuser d’en parler.

Jennifer : Tellement la pression était forte dès le début en fait ?

Halimata : Et c’est resté. Elles ont totalement intégré le tabou lié à l’acte de l’excision. Elles l’ont tellement intégré qu’elles n’en parlent pas. Quand elles m’en parlent c’est via Facebook, ce qui n’engage à rien.

Jennifer : En privé

Halimata : Oui, voilà en privé, voilà c’est ça. Par message, elles me disent « oui, t’es courageuse », elles me disent des choses qui me touchent profondément. Elles me racontent aussi, parfois, ce qu’elles ont subi, les conséquences de l’excision, parce qu’il y a des conséquences importantes, les difficultés qu’elles peuvent avoir dans leurs vies de couple, avec leur conjoint, ça aussi c’est non négligeable. Le rapport qu’elles ont-elles même avec leurs propres filles. Parce que là aussi, il y a une projection. Même si elle-même, même si elles ne font pas cela à leurs propres filles, il y a quelque chose quand même de très ambiguë dans le rapport qu’elles ont avec leurs filles.

Jennifer : C’est à dire ?

Halimata : Bah, il y avait une femme qui m’avait fait cette confidence. Elle a subi l’excision et tout. Elle est plus du tout en contact avec ses parents, elle a fait ce choix, là. Et elle a une petite fille et elle n’est pas en mesure de donner de l’affection à sa fille. Elle peut lui donner… Elle va s’en occuper pour lui donner à manger, pour donner… Voilà, quelque chose d’assez primaire, mais ne serait-ce que de lui mettre la main dans les cheveux, pour elle, c’est une torture. Pour la mère c’est une torture, c’est pour vous montrer à quel point c’est lié à sa propre histoire, de la mère avec sa propre mère. Je pense qu’il faut qu’elle règle ça pour casser, pour éviter de répéter avec sa fille. Mais, c’est tellement fort, c’est tellement complexe, que… Elle a eu une fille, elle a voulu cet enfant, elle l’a désiré, malgré cela, il y a quelque chose qui reste.

Jennifer : Oui, c’est imprégné en fait.

Halimata : C’est ça, c’est pour ça que je dis que c’est une question de projection. Cette petite fille aussi, elle se voit à travers les yeux de sa petite fille. Parce qu’elle même m’avait fait cette confidence que sa mère n’était pas quelqu’un d’affectueux. Elle n’a pas connu les câlins, les bisous et pour elle c’est très dur. C’est très dur quand on n’a pas connu ça, de donner ça.

Jennifer : Oui de refaire… On refait tout le temps le même chemin.

Halimata : Oui, voilà c’est ça. Et c’est vrai que ça n’est pas évident, quand on n’ a pas connu l’affection, à son tour de donner, il faut vraiment aller chercher au fond de soi.

Jennifer : Un travail psychologique qui prend des années.

Halimata : C’est un travail à faire. Il faut le faire, parce qu’il ne faut pas que la fille devienne aussi… On ne peut pas répéter ad vitam æternam, ce que les mères et grand-mères ont reproduit.

Jennifer : Surtout quand on a souffert nous-même.

Halimata : Voilà, mais vous savez, nous sommes nombreux sur cette Terre… C’est Annie Smile qui parle du schéma de répétition. Mais quelque chose de basique : la fessée. Les parents mettent une fessée à un gamin ou une claque. Vous allez dire aux parents « mais pourquoi tu donnes une claque ? ». Il dit « Oh bah moi j’en ai reçu, je ne m’en porte pas plu mal ».Ou, il va vous dire « c’est pour son bien ». Je trouve ça assez contradictoire de parler du bien et de violence. On peut se poser la question.

Jennifer : C’est vrai.

Halimata : Et cet adulte dit que, lui a reçu des claques et qu’il ne s’en porte pas plus mal. Il est dans un schéma de répétition. Il a reçu des claques et il donne des claques à son tour. Et qu’est-ce qui fait que… Elle l’explique très bien Annie Smile… on va s’arrêter et on va faire autrement ? C’est quand, étant adulte, on est capable de se dire que nos parents se sont trompés. De se dire, de remettre en cause nos propres parents, et de nombreux adultes ne le font pas. Parce qu’il y a une sacralisation des parents, il y a, voilà, « mes parents sont merveilleux ».

Mais pour le bien de soi et pour la génération suivante, c’est aussi bien de reconnaître qu’ils se sont peut-être trompés là. Ils ont fait comme ils ont pu certes, mais là ils ont peut-être mal fait. Et à partir du moment où vous êtes en mesure de faire ça c’est que vous êtes en mesure de remettre en cause vos propres parents et donc de remettre en cause leur action.

Jennifer : Et peut-être de se remettre en cause soi-même après.

Halimata : Oui et donc c’est là… Comme vous réfléchissez et vous essayez de voir autrement, de voir les choses de manière différente, vous allez donc ouvrir une autre porte qui va être différente de celle de vos parents et vous serez beaucoup moins dans un schéma de répétition parce que vous verrez… Souvent les petits garçons qui ont connu la violence ils vont battre à leur tour. Là aussi c’est un schéma de répétition. Qu’est-ce qui fait qu’il y a certains qui vont répéter et d’autres qui vont casser ce schéma? C’est la remise en cause ses parents, de ce qu’on a vécu et de reconnaissance, de reconnaissance de sa souffrance : « bah oui quand j’ai pris une claque ça m’a pas fait du bien ». Il faut reconnaître. Si vous reconnaissez qu’avoir pris une claque ça ne vous a pas fait du bien, sans doute, vous allez moins mettre de claque à votre tour.

Jennifer : C’est sûr. Et du coup, le parcours après ça, après la blessure

Halimata : Alors après la blessure de l’excision…

Jennifer : Dans la continuité de la blessure du coup.

Halimata : Je rentre en France. J’étais à l’école maternelle. Et là, moi je pose aussi cette question, là : une petite fille que vous voyez marcher là, mais d’une manière où vous voyez qu’il y a quelque chose. Alors on ne pose pas de question. Moi je pose cette question, là. Une petite fille que vous voyez marcher un peu les jambes écartées, les jambes arquées, et y a pas un adulte qui se baisse pour savoir, pour demander ce qui se passe.

Jennifer : C’est plus facile de fermer les yeux en général.

Halimata : C’est ça. On ferme les yeux et on se rend complice, attention, on se rend complice. Alors même si la petite fille que j’étais ne connaissait pas le mot excision, j’aurais pu dire « oui j’ai mal, j’ai un bobo, on m’a fait ça » avec des mots d’enfant.

Jennifer : Encore aurait-il fallu poser la question.

Halimata : Exactement, exactement, tu as tout dit Jennifer, mais on n’a pas voulu voir. Le PMI, le centre de protection maternelle infantile de la ville où je résidais, avant que je parte, il m’a ausculté. Il a vu que j’étais entière. Et après il a vu qu’il y avait quelque chose qui avait changé. Il n’a rien dit.

Jennifer : Il n’a rien fait.

Halimata : Il n’a même pas fait de cinéma rien du tout. Rien, rien, rien, rien. Et là aussi on peut parler de complicité de la part de ce médecin. Et vous savez pourquoi même ça a reculé au niveau des petites filles qui ont été excisées. C’est toute une campagne qui a été faite par une avocate, Linda Weil-Curiel, qui s’est battue pour que l’excision soit jugée comme un crime et non comme un délit. Parce que voler quelque chose, ça n’a rien à voir avec arriver et amputer, c’est quand même criminel. Elle explique parfaitement bien que… il y a eu des formations au niveau des médecins et des pédiatres, et c’était clairement indiqué que si la maman dit qu’elle va… Qu’elle part en vacances en Afrique avec sa petite fille, le pédiatre doit ausculter la petite et il dit aux parents : « j’ai vu votre fille, elle est complète. Si vous partez et qu’elle revient et qu’elle n’est pas dans l’état dans lequel je l’ai vu, on va faire un signalement et vous aurez à faire à la justice ». Les familles ont eu peur. Ce n’est pas qu’ils ont compris. Ils ont eu peur. Disons la vérité, c’est la peur d’aller en prison.

Jennifer : C’est déjà un premier pas.

Halimata : Oui voilà exactement, c’est un premier pas. Et ça a sauvé de nombreuses petites filles, cette menace de se dire « on va allez… vous allez aller en prison ». Et dans les années 80, c’est une petite fille qui s’appelait Bobo. Le père savait que c’était interdit d’exciser sa fille en France. Le père le savait pertinemment. Alors, la petite, je crois qu’elle a… quatre mois… entre trois et cinq mois. Le papa fait venir une dame exciseuse, ils excisent la petite, le bébé. Le bébé saigne, et saigne abondamment. Mais le père se dit « bah je ne peux pas aller à l’hôpital ». Si il va à l’hôpital, on va lui dire « bah attendez, qu’est-ce qu’il s’est passé avec votre fille ». Le papa décide de ne pas aller à l’hôpital et de rester chez lui alors que la petite se vide de son sang. En fin de journée, il se dit « bah tient, je vais peut-être aller à l’hôpital ». Il arrive à l’hôpital, c’est trop tard, la petite est morte. Elle est morte d’hémorragie. La petite s’est vidée de son sang. Mais c’est là où on se rend compte que c’est quand même incroyable. Et là, à ce moment, là, le chef d’inculpation, pour les parents, vous savez ce que c’était ? « Non- assistance à personne en danger ». C’est des cacahuètes ça.

Jennifer : Un petit peu.

Halimata : Alors que c’est criminel. C’est eux qui ont tué leur fille. Certes, c’est la dame qui a été couper la petite. Mais qui est-ce qui a fait venir cette dame ? Ce sont les parents. Sinon jamais elle serait venue.

Jennifer : C’est rare qu’on sonne à la porte comme ça.

Halimata : Ouais, voilà, c’est ça. C’est rare qu’on sonne à la porte comme ça « coucou c’est moi, je suis exciseuse.

Jennifer : C’est rare.

Halimata : Non, ça ne fonctionne pas comme ça. Mais, c’est pour que les… Parce que parfois ils disent « oh mais non, il faut juger l’exciseuse et pas les parents ». Non. Les parents sont tout autant responsables parce que c’est eux qui apportent leur fille. C’est eux qui prennent leur fille et qui l’amène chez cette femme. Ils sont, pour moi, c’est égalité. Si c’était moi, je mettrai les mêmes peines pour les familles et pour l’exciseuse.

Alors, je reviens à moi. Suite à cela je vous ai dit je suis revenue en France, je me suis mise à faire pipi au lit alors que je ne faisais pas avant d’avoir été excisée mais on n’avait pas fait le rapprochement entre les deux dans ma famille. Moi je l’ai su après coup, en allant voir le chirurgien qui m’a réparé. Nous avons discuté et c’est lui qui m’a appris qu’il y a un lien direct entre l’excision et le fait que je me suis mise à faire pipi au lit. Moi ça a été cela, mais à d’autres femmes ça va être autre chose voyez-vous. Moi je connais des femmes qui après avoir subi l’excision avaient des douleurs constantes au niveau du vagin. Tout le temps, elles avaient mal. Des années et des années, elles avaient mal. Jusqu’à ce qu’elles se fassent opérer par le chirurgien et suite à cela, la douleur s’est arrêtée nette. Vous voyez. Et après je pense qu’il y a… Moi pendant très, très longtemps j’ai eu un dégoût de mon propre corps. J’ai eu un dégoût parce qu’il y avait un étranger qui a osé mettre sa main dans ce que j’avais de plus intime en moi et je trouvais que par cet acte, là, le corps que je portais ne m’appartenait pas. Il était à eux.

Jennifer : Alors que t’y es pour rien finalement.

Halimata : Mais c’est ça le problème. C’est qu’on n’y est pour rien mais on a honte. C’est comme les femmes qui se font violer. Elles y sont pour rien mais tu vois, elles ont honte de ce qu’elles ont subi alors qu’elles sont victimes. C’est ça c’était vraiment très, très dur cette espèce de dégoût de soi, c’est compliqué à gérer

Jennifer : Finalement c’est peut-être ça le plus dur en fait ?

Halimata : Oui c’est sûr parce qu’après il faut apprendre à s’aimer et ça c’est une autre paire de manches. Et alors ce que je faisais c’est que je m’étais dans ma tête… J’avais dissocié mon corps, mon corps et ma tête. Je les avais dissociés. Pour moi mon corps, ce n’était pas moi.

 

Le regarder… J’ai essayé de faire un travail pour me réconcilier moi-même avec moi-même. Vous voyez ? Me réconcilier avec mon histoire et surtout d’accepter ce qui m’était arrivé et de pardonner. Tu vois ?

Jennifer : Long travail

Halimata : Ouais c’est ça. Bah ça prend des années. Je te le dis franchement, ça prend des années.

Jennifer : Et justement quand t’es parti au Canada du coup. Qu’est-ce qu’il en ressort ? Qu’est-ce que tu as vécu là-bas ?

Halimata : Au Canada, c’était une très belle expérience puisque j’y ai vécu cinq ans. Alors je tente de voir le pays, de comprendre un peu le fonctionnement. Le Canada, ça m’a permis vraiment de faire le point. De me retirer vraiment de l’environnement dans lequel j’ai évolué pour voir autrement. Quand vous êtes dans un environnement vous avez tendance à voir toujours de la même manière. Et là, le fait que je sois loin, ça m’a permis… J’ai eu cette chance là parce qu’il y a des gens ou ça fonctionne pas, vous pouvez les amener peu importe où, ils gardent ça. Mais moi, j’ai eu cette chance de rencontrer des gens qui m’ont permis de voir les choses de manière différente. Je n’étais pas fermée à ça, au contraire je voulais apprendre. J’étais dans une espèce de quête pour… Je voulais apprendre à m’aimer, je voulais apprendre à accepter mon histoire, je voulais apprendre à être la vraie Halimata. Et pas celle qui est victime. Je voulais dépasser mon statut de victime, de ce que j’avais subi et je ne voulais surtout pas qu’on me définisse comme victime de l’excision. Je voulais aussi… Parce que, pendant très longtemps, pour moi, je n’étais pas une femme, avant de partir. Comme j’avais subi ça. Malgré la réparation que j’avais faite, pour moi je n’étais toujours pas une femme à part entière. Et là-bas j’ai appris aussi ça. A m’accepter telle que je suis et à me dire « Bah je suis une femme malgré tout. Et que tout est possible. Ça, c’est ce que j’ai appris en Amérique du Nord. Tout est possible. La porte est ouverte quoi. C’est pour ça que je me suis mise à écrire. Là-bas j’ai cru que c’était possible, que je pouvais me mettre à écrire, que mon livre puisse être publié. Là-bas, oui je pense que si j’étais restée en France… Si j’étais restée en France non, j’aurais pensé « bah ce n’est pas pour moi ça. Ça c’est pour les autres mais pas pour moi ».

Jennifer : Quelle est la différence, en fait, entre les deux mentalités, les deux cultures ?

Halimata : En Amérique du Nord, c’est une société qui est très optimiste. C’est une société aussi qui est très portée sur l’entrepreneuriat. Et quand vous dites « oui j’ai envie de faire ceci ou de faire cela », les gens ne vont pas vous dire « ah bah non ». En France, c’est horrible, tu dis que tu veux faire ça, on va te dire « oh bah non, je ne sais pas quoi ».

Jennifer : Dès tout petit en général.

Halimata : Oui c’est terrible alors que là-bas, on va vous dire « bah vas-y go, vas-y essaye et si tu n’y arrives pas ce n’est pas grave. Au moins tu auras essayé ». Et vous savez même du côté des États-Unis ont fait plus confiance à un entrepreneur qui a eu des échecs qu’à un entrepreneur qui réussit du premier coup parce que l’échec ça forge et ça montre que c’est quelqu’un qui est capable de revenir malgré les échecs. Une fois, deux fois, trois fois il ne lâche pas. Il a la niaque.

Jennifer : Détermination en fait.

Halimata : Et c’est ça détermination à fond. Mais si vous avez réussi dès le premier coup…

Jennifer : Ça peut paraître une part de chance.

Halimata : Ça peut être une part de chance. Mais on ne sait pas, ça révèle pas votre caractère parce que c’est vraiment dans les difficultés que les gens se révèlent réellement. Parce que là, ils ne font plus semblant. Mais vraiment pour moi ça a été une expérience très enrichissante. D’ouverture sur le monde aussi. D’accepter les autres tels qu’ils sont, de ne pas être dans le jugement. Ça, j’ai appris ça, là-bas. Qu’on peut être différent aussi. J’ai appris ça. Qu’on peut avoir des chemins de vies complètement différents. Et ce n’est pas parce que c’est différent que c’est mauvais ou pas bien. C’est juste différent. Ça, j’ai appris ça aussi là-bas. J’ai beaucoup appris là-bas.

Jennifer : Plus qu’en France finalement pendant toutes ces années.

Halimata : Bah ce n’était pas du tout la même dynamique. Là-bas vraiment j’avais pris le temps… Bah déjà j’étais malade, je ne pouvais pas travailler. Alors j’ai arrêté de travailler. Et donc j’ai fait un travail sur moi très profond. J’avais commencé à le faire en France mais comme j’étais toujours dans cette dynamique de combat c’est très compliqué pour… Là, là-bas, j’ai lâché prise. Je me souviens, j’avais quitté mon appartement, j’étais partie en collocation, j’étais très tranquille. C’est à dire que les soucis du quotidien, il fallait que j’en ai le moins possible. Voilà. Et c’est là que j’ai pu me regarder. Mais quand vous êtes dans l’urgence… Mais vous n’avez pas le temps de faire ça.

Jennifer : C’est vraiment de vivre l’instant présent et être face à soi.

Halimata : Oui voilà. Exactement, apprendre à vivre dans l’instant présent c’est quelque chose que je ne savais pas faire. Moi, j’étais tout le temps dans la projection. Jamais dans l’instant. J’ai appris ça là-bas aussi

Jennifer : C’est peut-être aussi lié à l’Île-de-France qui est un peu… Très…

Halimata : Mais je pense que tu as sans doute raison parce que même depuis que je suis rentrée, là, ça fait un an que je suis rentrée, je trouve ça dur d’être en Île-de-France. Je trouve… Tu sais les gens sont très pressés. Vraiment très, très pressés. Vraiment pressés mais tout le temps. Tu ne sais pas pourquoi, où est-ce qu’ils vont, mais ils sont toujours très pressés. Je trouve que l’atmosphère, je trouve qu’elle est… Ce n’est pas très… Je trouve ça lourd. Et plus le temps passe et plus je trouve ça lourd l’atmosphère. Alors bon, je vais peut-être m’exiler ailleurs en France. Je ne crois pas que j’irai sur un autre continent. A l’heure actuelle non, je ne crois pas. Mais j’ai envie d’être dans un endroit plus paisible parce que ce que je cherche à l’heure actuelle, c’est que ce soit en adéquation avec l’état d’esprit dans lequel je suis. Tu vois ? Moi je ne suis pas dans une course effrénée. Je ne suis pas du tout là-dedans. Tu sais, je ne suis pas prête à me tuer pour louper le métro alors que deux minutes après il y a un autre métro quoi, tu vois. Tu vois, ça j’ai remarqué ça, tu vois à Rennes… Quand j’étais à Rennes il y avait le métro et ma copine, elle me dit « bah, on prendra le prochain ». Je lui ai dit « Ah ça c’est rigolo, ça serait à Paris on aurait couru alors que deux minutes après, il y en a un.

Jennifer : Alors qu’on est la région la plus desservie normalement.

Halimata : Ouais c’est ça.

Jennifer : C’est important deux minutes.

Halimata : C’est ça, c’est là qu’on se rend compte que deux minutes c’est quand même deux minutes alors il faut quand même les prendre. Et tout compte fait même avec ces deux minutes là, on ne s’en sort pas réellement pour nous parce qu’on court tout le temps, qu’on passe son temps à courir et prendre le temps vraiment d’être tranquille, d’être posée, ça fait vraiment énormément de bien. Et même au niveau de la qualité de vie ça change aussi je pense.

Jennifer : Donc justement après la blessure il y a la reconstruction et comment tu as fait ?

Halimata : A l’époque j’étais encore étudiante. J’avais entendu parler de cette reconstruction par le G.A.M.S qui est l’association qui lutte contre les mutilations génitales faites aux femmes. Je m’y suis rendue, je me suis assise. J’ai entendu une fille demander un numéro, le Docteur Pierre Foldes. J’ai demandé le numéro et je suis partie. Et je n’y suis plus jamais revenue. Et j’appelle. Alors j’obtiens un rendez-vous avec le Docteur Foldes je vais dans sa clinique à Saint-Germain-En-Laye. Il regarde. Il regarde pour voir si je suis opérable parce que toutes les femmes ne sont pas opérables. Tout dépend de la manière dont c’est fait. Il y a des femmes, ce n’est pas possible. Et il me dit « bah oui toi tu es opérable… Vous êtes opérable ». Il prend rendez-vous avec l’anesthésiste, des choses comme pour une opération lambda. Et après le jour de l’opération. Que je n’ai pas dit. Mais je l’ai fait en cachette.

Jennifer : Encore une fois.

Halimata : Je me souviens j’étais à la fac. Alors ça se fait très rapidement, très facilement. « En quarante minutes hop, hop, hop ». C’est vrai c’est hop, hop, hop, pour lui mais pour nous ce n’est pas hop, hop, hop. Et suite à l’opération… Bah là, je me souviens j’avais passé la nuit là-bas. Le Docteur Foldes, il m’avait dit « surtout ne restez pas debout. Si vous restez debout ça gonfle et ça va vous faire mal ». Sauf que comme moi j’avais menti, il fallait que je continue ma vie d’étudiante. Et je me souviens, j’étais à Paris III et je crois que c’est le lendemain ou deux jours après, il fallait que j’aille à la fac. J’avais tellement mal, j’en pleurais sur la route. J’en pleurais tellement la douleur était forte. Vous imaginez ? Parce que c’est très… C’est dans des endroits très sensibles. Alors quand ça se réveillait terrible, terrible, terrible, terrible, terrible. Il m’avait prévenu hein, mais bon c’était moi, il fallait que je fasse comme si de rien n’était. Alors après cette opération, je me suis rendue compte que ce n’était pas magique. Oui, mais faut le dire aux femmes. C’est pas magique, ce n’est pas hop, hop, hop et hop, non. Le gros travail c’est psychologique

Jennifer : Ça ne dure pas quarante minutes.

Halimata : Ouais voilà non. Le gros travail c’est psychologique. Parce que même après le travail, c’est un travail de réappropriation de son corps. Vous devez apprendre à  vous connaître, vous devez vous observer, vous devez aimer aussi ce corps. Parce que là, l’excision, il y a une personne étrangère qui va dans ce qui a de plus intime en vous. Et là, avec la chirurgie, il y a une autre personne qui vient. On va dire, certes elle vient réparer, mais c’est quand même quelqu’un d’autre qui vient encore dans ce qu’il y a de plus intime en vous. C’est-à-dire que ce n’est pas évident ce n’est pas une opération comme ça lambda. Alors moi j’ai eu un très, très long travail thérapeutique pour me réapproprier mon corps, pour accepter ce qui m’était arrivée et  pour aussi comprendre que l’opération ce n’était pas magique. Et que le gros du travail c’est à moi-même de le faire. Et qu’il y a personne qui va pouvoir le faire à ma place. Peu importe le chirurgien, peu importe le psychologue. Peu importe. C’est moi qui vais devoir faire ce travail, là, si je veux être en paix avec moi-même.

Jennifer : Donc déjà le travail de se dire que c’est quelqu’un qui nous a mutilé et qu’il faut soi-même tout réparer en fait, tout reconstruire. Et finalement peut-être enlever cette rancœur pour avancer.

Halimata : C’est ça. Enlever cette rancœur, parfois même cette haine qu’on peut avoir. Et de se dire… Parce que c’est particulier… Parce que l’excision, elle est faite, quand même par des gens de votre propre famille. C’est ça qui est difficile. C’est compliqué quand même à gérer. De se dire « bah attends, cette femme qui dit m’aimer, elle m’a quand même fait subir ça ».

Jennifer : Donc il y a un manque de confiance, en plus, après. On est seule en fait.

Halimata : Bah on est totalement seule. Et là en tout cas, vous savez qu’il y a quelque chose qui s’est brisé. Parce que là, vous vous dites quand même que la mère qui est censée protéger sa fille, bah elle l’a pas fait. Elle ne l’a pas fait. Et donc, bon, il faut trouver un autre… Il faut trouver un autre moyen de… Pour la protection. Vous comprenez que c’est à vous même de vous protéger. Moi c’est ce que j’ai compris. Qu’il n’y a personne qui pourra me protéger. C’est à moi de le faire. Sinon, il y a personne de ce monde qui le fera. J’ai une amie qui me dit « Halimata, tu te trompes » Elle me dit « bah non » parce qu’avec son conjoint, il la protège et tout. Il a toujours été là et tout. D’accord. Mais moi, c’est ce que je me disais. Qu’il y a personne qui pourra me protéger. Après ça dépend de l’histoire de chacun. Y a pas de règle établie « oui c’est lui, ceci, cela, non. Moi, à mon époque… A ce moment-là, pardon… il n’y avait personne qui pouvait me protéger. Et ça, je l’ai compris très tôt.

 

Halimata : Je l’ai écrit, ça devient public. Il va de soi qu’il y en a certains qui ne vont pas être, forcément, en adéquation avec ce que j’écris. Mais il y en a d’autres que ça aide. Et pas forcément que des femmes qui ont subi la même chose que moi. Parce que nous subissons tous des épreuves. Elles sont diverses d’une femme à une autre ou d’un individu à un autre. Mais on se retrouve aussi dans la manière dont je décris la douleur. Dans le ressenti. Et je trouve que c’est ça qui est intéressant. Y a même un homme qui m’a fait des confidences en me disant « Bah oui, Halimata, ce que tu as écris, je me suis retrouvé dedans ». J’ai trouvé ça très beau.

Jennifer : C’est universel après.

Halimata : Oui. Je tends vers… Vers l’universalisme.

Jennifer : Et de quoi tu es la plus fière, en fait, dans ton parcours, du coup, après tout ça ?

 

Halimata : De quoi suis-je la plus fière ? Alors… D’avoir surmonté tout cela. D’être face à toi aujourd’hui et de pouvoir parler de sujets qui sont très, très forts. Vraiment, le numéro un, je dirais, d’avoir surmonté tout cela. Le plus beau compliment qu’on m’ait fait, c’est la conjointe d’une amie qui m’a dit « Halimata, tu es une Warrior ». Pour moi c’était le plus beau compliment qu’on puisse me faire. C’est ça. Malgré tout, j’ai foncé alors que ce n’était pas évident, ce n’était pas facile. Mais j’y suis quand même arrivé.

Jennifer : Donc le jeu en vaut la chandelle finalement.

Halimata: Oui, le jeu en vaut la chandelle.

Jennifer : Même si on est très bas, on peut se relever.

Halimata : Oui je suis convaincue qu’on peut se relever de tout. J’en suis convaincue. De tout. Après, il faut avoir la volonté, il faut avoir envie. Après ça dépend de soi. Mais on peut. Je vous ai dit tout à l’heure « tout est possible ». Dans ce monde tout est possible. Encore faudrait-il y croire. Si vous croyez, tout est possible. Mais si vous n’y croyez pas, non ça ne va pas être possible. C’est déjà ça. Quand vous y croyez, hop, vous avez déjà l’esprit qui va vers. Moi, ça, j’en suis convaincue.

Jennifer : Et du coup quels sont tes projets maintenant ?

Halimata : Alors mes projets… J’ai terminé l’écriture de mon deuxième livre. Je souhaite qu’il paraisse en 2017. Alors je continue à animer des conférences partout en France et je souhaite travailler dans les médias. Avoir une chronique consacrée à la culture, à la littérature. C’est ce que je souhaite faire et je travaille pour. Et je souhaite aussi rencontrer toutes ces femmes… Parce que j’interviens aussi dans les établissements scolaires. Essayer de faire changer l’état d’esprit, de se dire que c’est possible quoi. Même si c’est dur, c’est quand même possible. Il n’y a pas de fatalité. Et que les femmes comprennent que même si on a subi des choses atroces, on ne se résume pas à ce que l’on a subi. On est beaucoup plus forte que cela. Mais il faut sortir de son statut de victime. On n’est pas que victime de quelque chose. On n’est pas qu’une femme excisée ou une femme autre chose. On est une femme avant tout.

Jennifer : Avec pleins de facettes différentes.

Halimata : Exactement. Nous avons toutes des facettes différentes. Voilà, il faut les mettre en lumière. C’est ça tout le parcours, ce que l’on doit faire, c’est mettre en lumière nos compétences, nos capacités, nos belles réalisations, je trouve.

Jennifer : Ce n’est pas facile tout ça.

Halimata : Ce n’est pas facile, mais c’est possible

Jennifer : C’est possible tu en es la preuve vivante d’ailleurs.

Halimata : Bah ça, je ne sais pas si j’en suis la preuve vivante. Mais en tout cas j’y crois.

Jennifer : Bah je te remercie beaucoup en tout cas.

Halimata : Merci à toi.

Jennifer : Je ne sais pas si tu veux rajouter quelque chose.

Halimata : Bah j’invite…

Jennifer : J’attendais

Halimata: Alors j’invite tous les auditeurs à lire mon livre « Mariama l’écorchée vive » aux éditions Karthala. Alors, vous pouvez le commander partout, dans les librairies ou sur Internet. « Mariama l’écorchée vive ». Merci.

Jennifer : Je mettrai un petit lien en-dessous de la vidéo.

Halimata : OK merci.

Jennifer : Merci beaucoup, en tout cas, d’avoir accepté. Surtout pour la première.

Halimata : Bah je suis vraiment ravie d’avoir échangé avec toi sur ces questions. Merci à toi.

Jennifer : Merci beaucoup.

Halimata : Je reviendrai pour le deuxième.

Jennifer : Avec plaisir.

Halimata : OK.

 

Appel à témoins

Appel à témoins

Après avoir écris sur le parcours de personnes connues mais aussi d’inconnus qui ont su se relever après un drame, je vous propose de mettre en avant votre propre parcours.

Si vous aussi, vous voulez prouver aux autres que tout est possible, n’hésitez pas à me contacter à l’adresse jennifer_rv@inspiremoidetavie.com

 

TRANSCRIPTION

Salut à tous, c’est Jennifer Racine, mieux connue sous le nom de Jennifer RV, blogueuse sur http://inspiremoidetavie.com et biographe familial.

Dans la vie, on traverse tous des hauts et des bas. Pour ma part, mon premier très bas, je l’ai connu très tôt sur mon parcours.

Quand j’ai décidé de me relever, j’ai pensé à trois personnes :

A moi, même si on pense très peu à soi dans ces moments-là.

A ma famille.

Et aux autres.

Aux autres, pas pour leur jugement, car ça, on s’en fiche. Mais pour leur prouver que tout est possible.

C’est pourquoi, aujourd’hui, j’aimerai vous interviewer sur ma chaine YouTube, vous qui avez su vous relever, pour prouver aux autres que tout est possible, pour prouver à ceux qui vivent actuellement la même difficulté que vous, qu’ils peuvent s’en sortir et se relever à leur tour.

Je vous laisse toutes les coordonnées en bas de la vidéo. N’hésitez pas à me contacter.

A bientôt !

MARIE-LAURE PICAT (LA MERE COURAGE)

MARIE-LAURE PICAT (LA MERE COURAGE)

MARIE-LAURE PICAT

(LA MERE COURAGE)

 

Aujourd’hui, je vais vous parler de l’histoire de Marie-Laure Picat, une mère qui a dédié ses derniers mois avant sa mort à chercher une famille d’accueil à Ses quatre enfants afin de leur offrir le meilleur avenir possible après le drame qu’ils s’apprêtaient à vivre.

Son histoire m’a touchée en tous points. D’abord parce qu’elle parle de la force du lien qui lie une mère à ses enfants. Quelle que soit notre histoire avec nos parents ou nos enfants, il est difficile d’être insensible à ce sujet. Bons ou mauvais repères, les parents sont la base de la vie et les enfants deviennent la raison de vivre des parents. C’est le lien qui nous permet souvent de nous surpasser.

Dans cet article, ce que je voudrais mettre en avant, c’est cette persévérance sans faille dont Marie-Laure Picat a fait preuve.

Selon moi, cette mère courage est un exemple pour chacun d’entre nous.

 

I/ A l’état Brut

 

Marie-Laure Picat est née le 2 juillet 1972.

Ce qui la caractérise au premier abord est son humour qui lui permet de dédramatiser les mauvais moments de la vie. Au risque de mettre mal à l’aise certaines personnes, elle se servira d’ailleurs de son humour décapant jusqu’à ses derniers jours déjouant ainsi les principaux drames de la vie à savoir la maladie qui marque pour la plupart d’entre nous une sorte de stand-by, laissant l’espoir d’un retour à la vie, et la mort si redoutée marquant la fin définitive de ce que nous sommes, du moins dans cette seule forme que nous pensons connaitre.

On peut aussi définir Marie-Laure comme une personne directe, déterminée et persévérante. En effet, lorsqu’elle veut quelque chose, elle ne ressent pas le besoin de s’éterniser avec de longs discours complexes, mais préfère les phrases courtes et simples allant toujours droit au but. En revanche, si ce mode de communication ne fonctionne pas, elle est prête à employer tous les moyens qui la mèneront à son but final.

 

C’est probablement ces traits de caractères qui ont permis à Marie Laure Picat de surmonter chacune des épreuves de la vie.

En effet, elle est directe et attend que les gens soient directs avec elle. Selon elle, ça n’est pas la façon dont on annonce les choses qui va changer le problème.

En revanche, une fois que le problème est énoncé, elle a cette capacité à dédramatiser les situations par l’humour.

Ce type de comportement lui permet ainsi de se recadrer sur une énergie positive lui permettant d’une part à éviter l’effet placebo, mais aussi de vivre pleinement ce que la vie peut lui offrir de positif, même dans les moments négatifs.

 

II/ Un environnement familial

 

Sa mère, Marie-France Grison, née le 18 décembre 1949, a quitté le domicile familial peu après la naissance de Marie-Laure. Selon son frère ainé, elle ne travaillait pas, ne s’occupait pas de la maison ni des enfants. Lorsque son mari rentrait du travail, elle se maquillait et sortait avec ses amis. Le seul salaire du foyer était dépensé pour ses vêtements et ses sorties. De plus, elle était violente avec ses enfants.

Son père, Maxime Picat, était ouvrier et faisait les trois huit. En plus de son travail, il était passionné de cyclisme, passion qu’il partageait avec son fils. Il n’était donc pas souvent à la maison. Avec ses filles, il ne partageait rien et ne leur adressait quasiment jamais la parole. Il n’offrait jamais rien à ses enfants et les cadeaux de Noël étaient rares. Son éducation était stricte. Aucune sortie n’était autorisée et les faits et gestes de chacun étaient surveillés.

Après le départ de sa mère, la grand-mère paternelle de Marie-Laure est venue s’installer dans le foyer familial. C’est donc sa grand-mère qui lui donnait l’affection qu’elle n’avait jamais connu.

Elle avait un frère ainé prénommé Richard et une sœur prénommée Christelle.

Par la suite, elle a appris qu’elle avait aussi deux demi-frères du coté maternelle nés d’une seconde union.

Marie-Laure n’a peut-être pas choisi sa famille biologique, mais son chemin a croisé celui de Marie-Thé qui était comme une mère pour elle et deviendra par la suite, la grand-mère de cœur de ses quatre enfants.

 

C’est peut-être cet environnement familial qui a, par la suite, déterminée la mère qu’est devenue Marie-Laure Picat.

Sans l’abandon de sa mère, Marie-Laure n’aurait peut-être pas eu cette détermination à trouver une famille d’accueil à ses enfants pour qu’ils restent unis après sa mort.

Elle a vécu l’absence d’une mère avec comme seule attache son frère et sa sœur.

De plus, on ressent dans sa démarche, ce besoin de ne jamais abandonner ses enfants.

Même si elle ne peut pas contrôler sa mort, elle veut être présente pour ses enfants jusqu’à la fin et après la fin.

 

III/ Ses échecs et ses blessures

 

Après une enfance difficile au sein d’un foyer sombre et hostile, Marie-Laure Picat décide de fonder sa propre famille.

Elle se marie donc avec le père de ses enfants. Au début de leur histoire tout se passe bien comme dans la plupart des jeunes couples. La naissance de leur fille est une joie immense pour les deux parents. Mais après la naissance de leur premier fils, le père change et ne s’occupe plus de rien si ce n’est de sa propre personne. Au fil des années et des nouvelles naissances, Marie-Laure doit tout assumer au sein du foyer, jonglant entre la vie scolaire et sportive de ses trois ainés, l’éducation de la petite dernière, l’entretien de la maison, l’administratif, etc…

Après ces années difficiles, Marie-Laure est confrontée à l’impensable : elle est atteinte d’un cancer. Malgré une année de lourds traitements, son médecin lui annonce qu’il ne lui reste que quelques semaines, dans le meilleur des cas, quelques mois à vivre.

Plongée dans ce dur combat, son médecin lui conseille de régler tous ses problèmes personnels rapidement afin de ne garder de l’énergie que pour vivre au mieux ses derniers moments aux cotés de la maladie. Conseil qu’elle prendra au mot en quittant le domicile familial avec ses quatre enfants, laissant ainsi son mari seul.

Le dernier gros combat de sa vie commence alors : Choisir la famille qui accueillera ses enfants après sa mort, et ce, envers et contre tous.

 

L’humain a souvent besoin d’un malheur pour prendre sa vie en main, pour décider d’être soi et décider d’être le seul capitaine de sa vie.

Lorsqu’on croit que ça va, qu’il n’y a pas de problème particulier, on se laisse porter par la vie, par ce qu’elle décide pour nous. Absorbé par la routine du quotidien, nous n’osons pas aller au-delà de ce que nous vivons et restons sagement dans un mode de vie que nous prenons pour une fatalité. En réalité, nous avons peur de nos décisions. Par peur de vivre le pire, nous nous interdisons le meilleur.

Or, lorsque nous vivons un drame, lorsque la vie décide de nous montrer le pire, que nous  nous rendons compte que nous sommes plus forts que nous le pensions et que nous sommes capables de surmonter les difficultés posées sur notre chemin, nous comprenons que nous pourrons surmonter une seconde épreuve. C’est alors que nous nous libérons pour, généralement, nous offrir le meilleur.

Marie-Laure Picat, même si elle n’a malheureusement pas survécu à son cancer, s’est offert le meilleur qu’elle pouvait s’offrir suite à l’annonce de sa maladie.

En effet, elle est sortie de sa zone de confort, devenue finalement si inconfortable, et s’est autorisée à quitter une routine qui la rongeait un peu plus chaque jour.

 

IV/ Sa réussite

 

Lors de ses derniers mois, cette mère courage a relevé plus de défis qu’elle n’aurait pu le faire dans toute sa vie.

Après sa séparation avec son mari qu’elle ne supportait plus depuis plusieurs années, Marie-Laure Picat a décidé de trouver une famille d’accueil pour ses quatre enfants dans leur ville afin de ne pas chambouler leur vie plus que nécessaire. Ne connaissant pas l’ampleur des procédures administratives et n’ayant pas l’habitude de passer par quatre chemins, elle a d’abord parlé de sa décision à tous ses amis afin que le message circule et arrive jusqu’à une potentielle famille d’accueil. Elle a rapidement fait la connaissance de Valérie et Jean Marc et a décidé qu’ils accueilleraient ses enfants.

Malheureusement, la loi française ne donnant pas le choix aux parents condamnés de décider de l’avenir de leurs enfants, Marie-Laure se voit confrontée à un premier refus d’une longue liste. Mais la persévérance étant mère de la réussite, elle ne se découragera pas et finira par obtenir le droit de décider de l’environnement dans lequel vivront ses enfants.

Marie-Laure Picat a perdu beaucoup de temps et d’énergie pour cet objectif qui était, dans un premier temps personnel. Mais grâce à sa persévérance et à la médiatisation son combat, elle a en plus réussi à ouvrir les yeux à l’Etat sur la longueur et la difficulté des démarches administratives pour les parents en fin de vie qui souhaite décider eux même de l’avenir de leurs enfants.

Marie-Laure Picat a ensuite décidé d’écrire le livre « Marie-Laure Picat, Le courage d’une mère » afin de laisser une trace à ses enfants ainsi que pour raconter son combat et sensibiliser l’administration sur la nécessité de faire changer ce système.

 

On passe beaucoup de temps à se trouver des prétextes pour ne pas réaliser nos objectifs. On est souvent fatigué, on manque souvent temps, on a souvent d’autres choses à faire. Lorsqu’on passe au-dessus de ces excuses, on se demande alors si la réalisation de notre projet est possible.

Penses-tu que Marie-Laure n’a jamais eu peur de ne pas avoir le temps ? Penses-tu qu’elle n’était pas fatiguée ? Qu’elle n’avait pas autre chose à faire ?

Pourtant, malgré la fatigue et les douleurs, Marie-Laure a pris le temps. Elle était focus sur son objectif et elle a réussi. Quant à la question « Est-ce que c’est possible ? », il est fort probable qu’elle n’aurait pas atteint son objectif si elle se l’était posée.

Mais comme le dit David Laroche, « Je ne sais pas ce qui est possible ou non alors j’agis comme si tout était possible ».

On a tendance à se croire intouchable, comme immortelle. On vit comme si le temps était infini, mais on oublie souvent que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. On repousse tout au lendemain sans savoir s’il y en aura un. Puis un jour, on se retourne et on ne voit plus que les traces des fardeaux que l’on a trainés et c’est trop tard car notre âme a quitté notre corps.

 

Si l’histoire de Marie-Laure Picat vous inspire, je vous conseille de lire son autobiographie « Le courage d’une mère » sur laquelle je me suis appuyée pour la rédaction de cet article (ceci est un lien d’affiliation)

 

Maintenant que cette mère courage t’a enlevé quelques excuses, quel nouveau prétexte as-tu trouvé pour être sûr de ne pas avancer ?

PATRICIA PATTYN (Un chêne sorti de Terre)

PATRICIA PATTYN (Un chêne sorti de Terre)

Dans son livre « Mon enfance assassinée », Patricia Pattyn trouve le courage de lever le voile sur le calvaire vécu par de nombreux enfants nés pendant ou au lendemain de la guerre à l’intérieur des campagnes éloignées de toute humanité.

 

I/ A l’état brut

Patricia Pattyn est née le 18 mars 1947 sous le signe du poisson.

Elle n’aura pas le temps de goûter à l’insouciance de l’enfance. La violence ne laissera aucune place à l’expression de la légèreté de ses traits de caractère inconscient.

On peut, peut-être retenir sa peur de grandir, cette envie de rester un bébé toute au long de sa vie. Cette volonté est souvent observée chez le benjamin d’une fratrie. Néanmoins, nous ne pouvons affirmer avec certitude que les sévices subis alors, n’ont fait qu’accentuer ce phénomène.

De la même façon, j’ignore si Patricia aurait bénéficié d’une entière confiance en elle si elle n’avait pas ce vécu. Ce que je pense pouvoir affirmer en revanche, c’est qu’elle ne souffrirait pas de ce panel de phobies qui dicte sa vie.

Patricia Pattyn se voit comme quelqu’un de peureux, de honteux, d’insignifiant.

Pourtant beaucoup serait mort d’avoir su souvent eu peur, de devoir subir ces supplices dans le silence assourdissant, accompagnés de cette infâme solitude. Patricia a eu le courage de survivre. Les bourreaux n’ont aucun mal à se débarrasser de leur propre honte sur le dos de leurs victimes, tournant ainsi le courage en peur, la souffrance en honte, l’importance d’une âme bien vivante en corps meurtri insignifiant.

Arrêtons de pactiser avec ces monstres en mettant en avant leurs qualités morbides dans nos médias, nos discussions, nos pensées terrifiantes. Et occupons nous plutôt d’accompagner les victimes sur le chemin de la résilience.

 

II/ Un environnement familial

Sa mère, Lucienne, est née en 1918. Sa famille étant plongée dans la pauvreté d’après guerre, elle dû travailler dès son plus jeune âge. A 13 ans, elle fut abusée par son patron. C’est à l’âge de 18 ans qu’elle se marie avec celui qui deviendra le père de Patricia Pattyn.

Cheminot de profession, cet homme alcoolique écumera les excès de violence envers sa femme ainsi que ses enfants.

Malheureuse, sa mère, dotée d’un physique avantageux prendra l’habitude de se consoler dans les bras d’autres hommes.

Elle a trois frères et une sœur : Roger, l’ainé solitaire, né en 1937, qui finira par reproduire l’inceste dont il a été victime ; Pierre, le rebelle, né en 1942 qui fuguera à de nombreuses reprises malgré les coups qui l’attendent à chaque retour ; Marie-Claire, la silencieuse, née en 1943, attendra la fin de son adolescence pour créer une relation fraternelle avec sa petite soeur ; Jean-Marie, le protecteur, né en 1945, veillera sur Patricia jusqu’à ce que le décès de leur mère ne les sépare.

Mais face aux coups, aux humiliations, puis quelques années plus tard, aux viols, l’instinct de survie poussera la fratrie à s’écarteler voyant en chacun de ses membres, tel un miroir, le reflet de ses propres peurs, de sa propre honte, de ses propres douleurs.

A la suite du décès de son père causé par sa mère, Patricia connaîtra un beau père violent et violeur.

A l’annonce du décès de sa mère et de son compagnon, elle passera les vacances chez son oncle incestueux. Sa tante, Marthe, se rendra comme complice de son mari, par son aveuglement face aux regards pervers de son mari.

Le lien fraternel est généralement un lien d’amour, d’amitié, de soutien, d’écoute, de réconfort. Patricia et ses frères et sœurs prouvent que pour aider son prochain, aussi proche de nous qu’il soit, il faut être sain soi-même. Or, dans certaines familles, comme celle des Pattyn, la douleur commune peut couper tout dialogue laissant chacun vivre sa souffrance en solitaire. On n’arrêtera jamais de prôner la nécessité de parler pour exorciser la douleur. Mais cette thérapie est rarement bénéfique lorsqu’on la partage avec quelqu’un qui vit ici et maintenant les mêmes problèmes que nous.

 

III/ Ses échecs, ses blessures

Peu après sa naissance, Patricia Pattyn rejoint ses frères et sœur dans le coin de la maison où survivaient les enfants de la famille : la cave. Elle était privée de nourriture et voyait ses frères et sœurs se faire attacher pour mieux recevoir les coups de poing ou de tisonnier.

Sa mère, ne supportant plus les coups infligés par l’homme de la famille, mettra fin aux jours de ce dernier avec l’aide d’un homme et de ces deux fils ainés. Mais elle n’imagine pas, à ce moment là, que l’homme qu’elle rencontrera un mois plus tard, prendra à cœur de remplacer le géniteur dans son rôle de bourreau, infligeant de nouveaux sévices jusqu’alors inconnus par la famille, assassinant à jamais l’insouciance de ses jeunes enfants.

Cet homme avait 18 ans, soit dix ans de moins que Lucienne. Dès leur rencontre, il se mit à la recherche d’une maison pour accueillir ses nouvelles victimes. C’est après avoir quitté le village de Cassel dont les voisins ne supportaient pas d’entendre les cris des enfants battus, qu’il trouva une cabane isolée du reste du monde.

Ici, ils vivront à même le sol dans le froid, dormiront sur une paillasse, et seront une nouvelle fois, privés de nourriture et battus.

A quatre ans, elle doit parcourir plusieurs kilomètres dans le froid hivernal, chaque jour, pour mendier de l’autre coté de la forêt ou à la frontière belge pendant que ses frères servaient de passeurs de cigarettes et de café entre la Belgique et la France. Ils ignorent alors que l’argent qu’ils feront ainsi gagner au bourreau servira à financer la moto et le fusil qui les terrorisera à chaque coucher de soleil.

En plus de sa souffrance, elle souffrait de la douleur ressentit par sa mère suite à l’opération qu’elle avait subit suite à la perte de son sixième enfant lorsqu’elle était encore avec son ex mari. L’opération vite faite, mal faite, obligera la mère à garder des agraffes. Mais, celles-ci ne résistaient pas aux coups du nouveau mari, et le ventre de cette martyre se rouvrait laissant couler le sang. Patricia devait alors vider le pot ensanglanté mis sous sa paillasse.

Mais pour Patricia, il y a un avant et un après.

C’est à l’âge de cinq ans que la vie de Patricia bascula à jamais.

Quelques mois auparavant, le bourreau n’avait fait « que » regarder à travers les culottes des deux fillettes. Mais c’est un jour de Mars, alors qu’elle n’avait que cinq ans, que son enfance s’envola dans une douleur inhumaine. Le reste de la fratrie partis, elle se retrouva seule avec le monstre qui profita de cet instant pour la violer. A partir de ce jour, cet acte inhumain entrera dans la routine de sa misérable vie. Après chaque viol, elle courra à la rivière pour laver le sang qui coule d’entre ses cuisses et tenter irrémédiablement de laver sa mémoire du souvenir de ce sexe, de ce regard amusé, de cette douleur. Puis elle se cachera dans son taillis attendant chaque fois le retour de sa famille, pétrifiée. Pourtant, elle ne dira jamais rien à sa mère, ni à ses frères et sœur. Pire, la honte, la culpabilité et la peur que quelqu’un sache, se rajoutera au nombre déjà incalculable de préoccupation de la petite fille. Même si elle se doute qu’elle n’est pas la seule à subir cette incompréhensible inhumanité. En effet, sa sœur était souvent trainée jusqu’au frère amputé du bourreau avec lequel elle se retrouvait seul alors qu’elle n’avait que huit ans.

Puis vint le « jeu de la moto ». Lui armé d’un fusil sur sa moto rouge, eux sans autre outil que leurs jambes frêles pour courir. Chaque soir, il laissait les enfants se cacher, puis allait à leur recherche. Le premier qu’il trouvait se voyait basculé en travers de la moto et rammené dans la cabane. Une fois la victime de ses sévices sexuels quotidiens choisit, le reste de la fratrie rentre à la fois soulagé mais aussi horrifié de savoir que tout le monde n’a malheureusement pas eu leur « chance ».

C’est à l’âge de 7 ans que Patricia Pattyn perdit sa mère dans un accident de moto où son beau père trouvera aussi la mort. La nuit suivant le drame, les enfants dormirent à l’hospice. Mais Patricia est la seule de la fratrie à ne pas comprendre que sa mère est décédée. Elle se retrouve alors encore un peu plus seule dans ce cauchemar qu’elle ne conçoit pas.

Elle attendra longtemps le retour de sa mère, mais aussi celui de son bourreau. En effet, chaque nuit, elle cherchera la lumière de la moto rouge.

C’est lors de l’enterrement de sa mère qu’elle a rencontré pour la première fois ses oncles et tantes maternelles.

Chaque enfant est alors placé chez un membre de la famille. Patricia sera accueilli chez sa tante Denise où plutôt dans son cabanon à outils où elle prendra la mesure, chaque nuit, de la punition grandissante qui l’attendra si elle retourne chez son bourreau.

Une semaine plus tard, elle sera confiée à sa tante Alice qui aura besoin de main d’œuvre pour glaner dans les champs afin de gagner de l’argent.

Ici, elle apprendra à se servir de couverts, découvrira l’utilité des toilettes et appréciera l’eau de la pompe. Mais elle obtiendra surtout un court instant de répit loin des coups et des viols, même si l’œil pervers du grand père de ses cousines suivra chacune de ses toilettes pour lesquelles elle devra mettre à nu son corps meurtri à la vue de tous.

A la fin de l’été, les cinq enfants firent placés en orphelinat. Dès leur arrivée, leurs vêtements tout neufs ont été troqués contre ceux que personne ne voulait, laissant les leurs aux privilégiés. Leurs noms ont été échangés contre des numéros. Patricia deviendra alors le numéro 74. Ici, elle subira les humiliations comme celle de faire le tour de la cour en courant, sa culotte sale sur la tête, lorsqu’elle n’aura pas su se retenir d’aller aux toilettes ouvertes seulement deux fois par jour. Elle y connu aussi le pinçon, le tapis à piques, le martinet à plomb, le cachot… Ainsi qu’aux attouchements d’autres orphelines.

A partir de ses 13 ans, Patricia passa toutes ses vacances chez son oncle Georges qui était aussi son tuteur officiel. Mais le seul homme en qui elle avait confiance deviendra son nouveau bourreau et la violera chaque fois qu’il se retrouvera seul avec elle.

Enfin, à l’âge de 15 ans, voulant fuir loin de son oncle, elle trouva un emploi de femme de ménage auprès d’une famille bourgeoise. Malgré ses efforts quotidiens pour être à la hauteur des exigences de sa patronne, Patricia n’aura pour seule nourriture que les restes. Puis, réduite à l’esclavage, les coups de cravache ne tarderont pas à pleuvoir. Elle quittera son emploi à la suite d’un malaise provoqué par tous ses mauvais traitements et qui lui offrira six mois en maison de repos.

 

Je pense que le mot choqué n’est qu’un euphémisme pour décrire ce que nous ressentons tous à la lecture de parcours comme ceux de Patricia Pattyn.

Pourtant certains ont vu, ont entendu mais n’ont rien dit. La violence et l’inceste à l’intérieur d’une cabane ou d’une maison. La violence à l’intérieur d’une institution tenue par des bonnes sœurs.

Nous sommes horrifiés par tant de malheurs aujourd’hui, face à un récit nourrit de détails inimaginables. Mais l’histoire de Patricia ne doit pas nous faire réfléchir un soir, seul dans notre lit, mais nous faire agir tout au long de notre vie, face aux situations dont les victimes n’auront pas d’autres possibilités que de taire l’innommable.

 

IV/ Sa réussite

A partir d’un certain âge, les corvées de l’orphelinat ne sont plus que matérielles. Elles peuvent aussi prendre forme humaine avec la prise en charge d’un enfant plus jeune que soi. C’est à l’âge de 11 ans que Patricia se vit confier le numéro 124 pour une semaine. C’est à ce moment qu’elle découvrit ce qui pouvait s’apparenter à l’amour maternel. Elle s’occupait de Claudine, la protégeait, l’aimait irrévocablement. Finalement, ce qui ne devait durer qu’une semaine se prolongea, pour la première fois dans l’histoire de l’orphelinat, durant deux ans.

Alors qu’elle a rarement reçu l’amour, qu’elle n’a jamais reçu la protection, Patricia sait aimer ; Patricia sait protéger.

Après six longues années à subir les humiliations et maltraitances de l’orphelinat, le moment qu’elle avait tant attendu arriva : la porte qui s’était ouverte alors qu’elle n’avait que 7 ans, allait enfin se refermer derrière ses pas. Encore une fois, Patricia Pattyn avait survécu à l’horreur.

A la demande de sa sœur, elle rejoint la maison de redressement où on s’inquiéta enfin pour elle. Les bonnes sœurs tentent de la questionner sur la vie qu’elle mène en dehors des institutions. Même si ses secrets sont bien gardés, ces dernières restent à l’écoute de Patricia en tentant de la guider au mieux.

Après être entrée à l’école à l’âge de 10 ans, et malgré les moqueries des autres élèves, Patricia passa ses nuits à réviser pour se maintenir au niveau de ses camarades. Contrairement à ce que pense son entourage, Patricia finira par obtenir son certificat d’étude à l’âge de 15 ans.

Pour la récompenser, les sœurs l’envoyèrent à l’hôpital pour qu’elle puisse subir une opération destiné à estomper les douleurs que lui procurent ses pieds.

Suite aux six mois passés en maison de repos après son malaise, Patricia décida de travailler dans un service pédiatrique, loin des hommes pervers, proche des enfants malades. Elle posa donc une candidature à l’hôpital de Lille, où elle fut embauchée. Elle put enfin donner toute son énergie, son temps, son amour à de petits êtres fragiles. Ses insomnies lui permirent de travailler dans l’équipe de nuit. Elle se mit à travailler dur, jusqu’à 16 heures par jour. Puis, le travail à l’hôpital devint une excuse pour ne pas rentrer chez son oncle pendant les fêtes.

Epuisée d’être le témoin impuissant de la détresse et de la mort bien trop fréquente d’enfants innocents, allié à la fatigue des heures accumulées et du harcèlement à distance de son oncle, Patricia pris la décision de quitter l’hôpital pour partir en clinique privée.

Elle commença alors par le ménage et le service des plateaux repas. Mais manquant du contact humain, elle fit part à son directeur, de son envie de partir nuit et jour à la découverte des différents services afin d’obtenir son diplôme d’infirmière. Elle se mit alors à travailler sans relâche jonglant entre les heures à l’hôpital et les heures d’apprentissage. Elle échoua à l’examen, mais n’abandonna pas l’année suivante.

Puis vint le jour dont elle a rêvé pendant tant d’année : le 18 Mars 1968. Elle a 21 ans et prend le train en direction de la maison de son oncle pour la dernière fois. Les papiers sont signés.

Patricia est libre et en vie.

Même s’il est difficile de partager son malheur devant le miroir de notre propre douleur, nous surmontons souvent les obstacles de notre vie par l’aide que nous offrons aux autres. Après s’être tut, nous voulons exorciser les âmes de souffrances inavouées. Après avoir tant pleuré, nous avons besoin de redonner le sourire aux visages attristés. Après avoir tant souffert, nous avons besoin de mettre du baume aux cœurs meurtris.

Alors, nous n’attendons pas de merci. Nous n’attendons rien en échange. Mais notre inconscient connaît aussi la magie du miroir. Sourire pour faire sourire son prochain. Puis sourire d’avoir donner le sourire. Des actes parfois simples qui nous mèneront, quelques soit le chemin parcouru, à la fierté. La fierté d’avoir la force de porter son prochain, la fierté d’avoir contribuer à la réussite de son prochain, la fierté de sa propre réussite La fierté d’être soi, vivant, malgré tout

 

Si l’histoire de Patricia Pattyn vous inspire, je vous conseille de lire son autobiographie « Mon enfance assassinée » sur laquelle je me suis appuyée pour la rédaction de cet article. (Ceci est un lien d’affiliation)

 

Et toi, as-tu déjà été témoin d‘un cauchemar dont une victime ne peut se sortir toute seule ?

Qu’as-tu fait ? Comment t’es- tu sentis ?

Selon toi, qu’elle vitesse de frappe faut-il pour démolir le mur du son ? Faut-il attendre que l’irréversible mort vienne le fracasser ?

 

SIBYLLE CLAUDEL (Un cœur tendre dans un corps de pierre)

SIBYLLE CLAUDEL (Un cœur tendre dans un corps de pierre)

SIBYLLE CLAUDEL

(Un cœur tendre dans un corps de pierre)

 

Aujourd’hui, je vais vous parler du parcours d’une femme dont toute l’adolescence a été ponctuée d’abandon. Malgré tout ce que la vie et ses proches lui font endurer, son corps de pierre, la tiendra en vie pendant que la tendresse de son cœur continuera à porter un amour sans faille à ceux qui l’entourent.

 

I/ A l’état brut

Sibylle Claudel est né en 1969.

Introvertie, la petite fille n’a aucune estime envers sa propre personne. Trop occupée à penser au bien-être des autres, elle a tendance à s’effacer et s’oublier.

Hypersensible, elle a la peur omniprésente de l’abandon. En particulier de celui de sa mère. En effet, chaque jour d’école est source d’inquiétude pour Sibylle qui, chaque matin, hurle à sa mère de ne pas la laisser. Chaque jour, la peur ne faiblit pas avant 16H30, heure à laquelle elle se jette dans les bras de son seul repère sur Terre.

Faisant tour à tour office de qualité et de défaut, son impulsivité la plongera dans des montagnes russes. La faisant d’abord glisser dans la rue et la petite délinquance, puis s’élancer vers une carrière de comédienne.

Les parents ont souvent tendance à s’inquiéter lorsqu’ils donnent naissance à un enfant introverti et hypersensible. Pourtant, je pense que cette combinaison de faiblesses peut devenir une force une fois bien apprivoisée. En effet, je crois que c’est souvent cette hypersensibilité qui entraine l’impulsivité. Même si cette dernière sera d’abord un défaut pouvant mener sur la mauvaise route, je pense qu’avec un peu de travail, il est possible de la transformer en un énorme atout. L’introverti, à défaut de s’extérioriser, passe énormément de temps à observer, à penser, à réfléchir. Il finira par trouver un équilibre entre ses deux traits de caractère pour que leur fusion le remette sur le droit chemin et lui donne une nouvelle force : celle de se battre.

En fait, je pense que ceux sont les faiblesses de Sibylle Claudel qui lui ont sauvé la vie.

 

II/ Situation familiale

Dès sa petite enfance, Sibylle appellera sa mère, qu’elle admire pour sa bravoure, sa serviabilité et sa générosité, Maria. Malgré sa profession d’infirmière, la famille monoparentale a des difficultés financières.

Quelques années après la naissance de Sibylle, la mère de famille donnera naissance à un petit garçon, Nicolas, qui ne sera reconnu par aucun père. Il ne vivra que durant sept mois et onze jours.

Un mois après le décès du bébé, Maria rencontre Simon avec qui elle aura un troisième enfant qu’elle prénommera Antoine.

Son père, Jean l’a abandonné à la naissance. Lorsqu’elle sera dans l’obligation d’aller vivre chez son père, ce kinésithérapeute aura refait sa vie avec Magalie qui lui aura donné deux fils, Jean-Baptiste et Thomas.

Sa grand-mère, qu’elle rencontrera à l’âge de 12 ans, s’appelle Simone. Elle vivra chez elle quelques mois avant de partir à la DDASS.

Malgré les trois foyers familiaux dans lesquels elle vivra, personne ne lui apportera d’affections, d’écoute, ni d’amour. Elle vivra sans aucune considération de la part de sa propre famille.

On oublie souvent l’importance du dialogue au sein d’une famille, d’une communauté ou d’un peuple. Le manque de dialogue se transforme peu à peu en non-dits qui, généralement se transforment en secrets familiaux, en secrets d’Etat.

Je crois que l’écoute doit être le ciment de la relation enfant-parents.

Sibylle Claudel vivra toute sa vie sans la moindre écoute familiale. Elle gardera tout pour elle. Ses émotions positives comme négatives, ses nombreux malheurs, ses rares petits bonheurs, ses questionnements, ses doutes et ses peurs.

Un être humain, aussi fort qu’il soit ne peut vivre sans communication, tôt ou tard, tout ce qu’on garde à l’intérieur de nous forme un effet boule de neige et la montagne que nous croyons être s’effondre.

C’est pourquoi il faut toujours accepter de dialoguer mais surtout, encourager les autres à le faire.

 

III/ Ses échecs, ses blessures

C’est dans sa petite enfance que Sibylle Claudel a connu son premier drame en perdant son petit frère Nicolas. Alors qu’elle ne voyait plus que par ce bébé, sa mère lui annonça, sans aucune explication « Ma chérie, ton petit frère est mort ». Accablée par le chagrin, elle n’osera pas parler de son chagrin à sa mère pour ne pas alourdir la peine de cette dernière. Pourtant, Sibylle sera, toute sa vie, persuadée que Maria est à l’origine de ce décès.

Mais c’est à l’âge de onze que tout bascule pour Sibylle Claudel. En effet, c’est à cet âge que sa mère, dépressive, ne se sentant plus apte de l’élever, lui donna son premier dilemme : aller à la DDASS ou partir à la rencontre de son père.

A cet âge où nous avons plus que jamais, besoin d’être guidé par ses parents, elle se retrouva seule face à cet abandon et sa première prise de décision.

Elle réfléchit un moment et en vint à la l’analyse suivante : « Je ne sais pas ce que c’est la DDASS, elle n’a pas de nom, de nom de famille. Mon père, je ne le connais pas, mais au moins c’est quelqu’un. Et puis il connait, enfin il connaissait ma mère». C’est ainsi qu’elle fut contrainte de prendre la décision d’aller vivre chez son père.

Elle découvre alors un père très pris part son travail n’accordant pas beaucoup de temps à sa famille, une belle mère qu’elle comparera à celle de Cendrillon et ses deux jeunes demi-frères.

Elle subira les humiliations de la nouvelle femme de son père comme celle d’être interdite de repas lorsque ce dernier avait été commandé chez le traiteur.

Souffrant de ne rien avoir, ni au niveau affectif ni au niveau matériel, face à ses demi-frères qui ont tout, elle deviendra violente avec ces derniers et les frappera de toutes ses forces. Elle veut les entendre hurler, pleurer et voir leur terreur. C’est sa façon de se venger de son mal-être, des humiliations de sa belle mère, de ce manque d’attention et de cette solitude omniprésente.

C’est alors que, tel un « colis qu’on se refile comme une patate chaude », elle sera expédiée chez la mère de son père. Cette dernière maniaque et catholique est stricte mais ne lui donne que très peu d’amour. Simone finira finalement par l’envoyer, quelques mois plus tard à la DDASS.

Elle va alors connaître la douloureuse vie des foyers remplis d’enfants et d’adolescents en souffrance ne pensant qu’à se venger sur ceux qui les entourent.

Alors Sibylle commencera à enchainer les fugues.

C’est à l’âge de 13 ans qu’elle rencontre son premier petit ami. Elle ne l’aime pas vraiment et n’est pas prête à perdre sa virginité. Mais la peur d’être une nouvelle fois abandonnée par la seule personne qui lui donne de l’amour la poussera à lui offrir son premier rapport charnel.

C’est aussi chez lui qu’elle se réfugie lors de ses premières fugues. Dans un premier temps, elle fuit pour qu’on la rattrape, pour ressentir l’importance qu’on lui donne aux moments des recherches. Ensuite, elle partira à la recherche de la liberté, consciente de la difficulté de vivre dehors sans nourriture, sans lit, sans toit, mais déterminée à vivre par ses propres moyens.

Submergée par un nouveau rejet de sa mère lorsqu’elle lui rendra visite après une énième chute, Sibylle tentera de se suicider en avalant des cachets.

A son retour au foyer, elle tentera d’adopter un comportement exemplaire, mais la tentation du monde extérieur sera trop forte.

C’est alors qu’elle errera des journées entières dans les rues, préférant passer son temps en garde à vue plutôt qu’à l’école. C’est ainsi que la DDASS la renverra chez son père.

Mais, son père, ne voulant pas s’en occuper, laissera sa fille de 15 ans à la rue, lui laissant pour seule aide financière, 200 francs.

Elle devra alors se débrouiller seule pour survivre, se laissant faire lorsque Claude veut faire l’amour, juste pour avoir un toit sous lequel dormir.

C’est en faisant de petits ménages et avec l’argent de Claude, qu’ils trouveront un studio où loger. Mais après une crise de jalousie où ce dernier frappera Sibylle, ils se sépareront.

Elle fera donc la manche et rencontrera son nouveau compagnon, Francis, qu’elle n’aimera pas non plus, mais qui la laissera dormir dans sa voiture en échange de rapports sexuels.

A 16 ans, elle se réfugie dans une maison abandonnée sans porte ni fenêtre. Elle n’a pas assez d’argent pour se nourrir convenablement, pour s’habiller, ni pour se soigner. Elle n’a plus de force, sa santé se détériore jusqu’au malaise qu’elle subira en faisant la manche. Elle se réveillera dix jours plus tard à l’hôpital.

Après un long séjour d’un mois, elle réintègrera un foyer provisoire en attendant d’entrer dans un Service d’Accueil en Ville où elle sera enfin épaulée par une éducatrice qui lui donnera toute sa confiance et où elle recevra une aide financière de 1000 francs par mois.

Elle suivra alors une formation d’esthéticienne et décrochera un emploi de serveuse en discothèque, mais ne trouvera pas encore la force de s’occuper de son ménage.

Puis, elle tombera amoureuse de Jean Charles avec qui elle décidera rapidement d’emménager. Mais elle ne s’intégrera pas dans cette nouvelle vie, dans cette nouvelle famille.

De retour d’un séjour chez sa mère qui a décidé de reprendre contact avec elle, elle quitte son ami, trouve un emploi d’hôtesse et s’installe dans une chambre d’hôtel « minable ».

Lorsqu’elle a 20 ans, son père décède. Peu de temps après, son demi-frère perd, à son tour, la vie.

Mais malgré tous ces drames, malgré le décès de sa mère qu’elle aura aidé pendant de nombreux mois à lutter contre la dépression et les tentatives de suicides, Sibylle Claudel veut vivre. Elle veut s’éloigner du malheur pour croire au bonheur.

Même si les organismes d’aide, comme la DDASS, offrent aux enfants le nécessaire vital et le confort d’avoir un toit, ils ne donnent souvent pas toute l’attention que ces jeunes individus méritent. Ces derniers, pour la plupart, déséquilibrés émotionnellement, exprimeront alors leurs rancœurs par la violence, envers eux même mais aussi envers les autres, créant ainsi un climat inconfortable, invivable.

Alors certains, comme Sybille Claudel, préfèreront quitter cette prison argentée en perdant tout confort matériel au nom de la liberté. Malgré les difficultés qui incombent à la vie de rue, malgré ses risques et ses dangers, ces adolescents sont prêts à tout affronter pour s’extraire de leurs chaines les reliant à un univers sans considération, sans âme, sans vie.

 

IV/ Sa réussite

Malgré cette adolescence brisée, Sibylle Claudel à choisi de vivre.

Habituée à se débrouiller par ses propres moyens, elle connaît l’importance de travailler, mais, à défaut d’avoir de beaux souvenirs personnels, elle décide de vivre de ses envies, de ses passions.

Alors elle profitera d’une rencontre qui lui mettra le pied à l’étriller.

C’est dans le restaurant luxueux et fréquenté par les personnalités du show-biz qu’elle discutera avec un présentateur de télévision à qui elle confiera être intéressée par le milieu de la télé. C’est alors qu’il lui proposera de devenir standardiste pour l’émission « La Roue de la Fortune ». Elle découvre ainsi un métier qu’elle aime ainsi qu’une vie sociale avec des collègues qui s’inquiètent vraiment pour elle et avec qui elle peut parler de choses plus légère que tout ce qu’elle a vécu jusqu’à présent.

Mais Sibylle veut évoluer, elle profite de ses moments de libre pour poser sa candidature dans d’autres maisons de production.

C’est ainsi que Nicolas Hulot, convaincu par son courrier et sa prestation lors de  son entretien d’embauche, lui propose de devenir assistante de production à seulement 19 ans.

Après une dépression, notamment due au décès de son père, elle décide d’aller devant l’immeuble de Canal Plus où elle restera pendant trois jours à interpeller le personnel sortant du parking.

Le troisième jour, Didier Froëli, un réalisateur d’émissions télévisées, touché par sa démarche lui offre la formation qu’elle désire.

Elle devient alors scripte pour une émission littéraire et gagne bien sa vie.

C’est là qu’elle rencontrera Vincent, le caméraman avec qui elle découvrira enfin l’amitié réciproque, sincère et sans arrière pensée.

En parallèle, elle suit des cours de comédie. La comédie la passionne, mais c’est aussi une forme de thérapie qui s’impose à elle.

Suite à un courrier court mais audacieux, Sibylle est convoquée à Canal où elle présentera désormais la Météo.

Les gens la reconnaissent dans la rue et Sibylle se sent enfin importante.

Après de nombreux castings, elle décroche un rôle de comédienne. Son rêve se réalise.

Après tous les nuages qu’elle a traversé, Sibylle Claudel trouve enfin son soleil. « Même pas morte », elle est dans la lumière, la lumière de la vie.

On a tendance à se plaindre quand ça ne va pas, quand nos proches sont un peu moins proches de nous, parce qu’ils ont parfois d’autres choses à penser, d’autres problèmes à régler.

Mais à force de se prendre pour le nombril de la Terre, on oublie souvent que d’autres n’ont pas cette chance que la plupart d’entre nous avons.

Alors, trop occupé à se plaindre sur notre sort, trop habitué à vivre dans notre cocon de confort et d’amour, nous passons à côté d’instants uniques, d’opportunités.

Sibylle Claudel n’avait rien et elle s’est battue jusqu’au bout. Elle n’avait rien et savait qu’elle ne risquerait pas d’avoir moins que rien alors elle a tenté le tout pour le tout.

 Elle a osé ce que beaucoup d’entre nous n’oseraient, pour obtenir ce que beaucoup d’entre nous n’avons pas.

 

Si l’histoire de Sibylle Claudel vous inspire, je vous invite à lire son autobiographie Même pas morte . (Ceci est un lien d’affiliation)

 

Et toi, si tu n’avais rien, si tu ne risquais rien, qu’oserais-tu dire ? Qu’oserais-tu faire ?

Ne t’est-il jamais arrivé d’avoir des remords de ne pas avoir risqué de regretter ?

 

Biographie de Christian Faison (Un homme debout)

Biographie de Christian Faison (Un homme debout)

Avec le recul, je pense pouvoir affirmer que Christian Faison est l’un des plus grands déclencheurs qui m’ont donné l’envie d’ouvrir ce blog.

C’est lorsque j’ai lu son livre alors que j’avais 17 ans que j’ai compris que certaines histoires, certains destins se devaient d’être connus de tous.

Dans son récit « J’ai dix ans et ma vie est un cauchemar », Christian nous prouve que tout est possible. Il est la preuve vivante que l’humanité peut naitre de l’inhumanité.

 

I/ A l’état brut.

Né le 9 février 1963, à l’hôpital public Hoche à Nimes. Christian Faison naitra sous le signe du Verseau.

Selon moi, ce qui décrit le mieux Christian Faison est l’adjectif « vivant ». Il frôlera la mort plus d’une fois. Pourtant, il saura se relever après chaque chute, emmagasinant à chaque retour à la survie un peu plus d’envie de rencontrer la vie, celle à qui il vouera une passion dévorante.

Hormis sa capacité d’adaptation sans faille, et celle de donner toujours plus d’amour à ceux qui l’entourent, il est difficile de savoir si les traits de caractère de Christian sont bruts ou s’ils ont été dictés par son enfance.

Elève turbulent dans son enfance, il deviendra ensuite effacé, manquant cruellement de confiance en lui.

De nature optimiste, il espère pourtant une vie meilleure. Mais en attendant que la roue tourne, il profitera de chaque instant pour apprendre. Apprendre de la vie, apprendre des autres, apprendre de lui-même.

Apprendre à saisir chaque opportunité qui pourrait le mener sur le chemin de la vie.

C’est probablement l’optimisme qui poussera Christian à saisir les opportunités qui s’offrent à lui.

Lorsque quelqu’un réussit sa vie, on a tendance à dire qu’il a eu de la chance. Dans le cas de Christian Faison, il est impossible d’apporter un tel argument. Lorsqu’on connaît les évènements qui composent son enfance et son adolescence, il serait inconcevable de ne pas comprendre que la chance n’est pas un don de la nature mais un art de saisir la bonne opportunité au bon endroit, au bon moment. Il s’agit d’une capacité d’adaptation, d’une capacité d’optimisme même lorsque tout va mal. Savoir garder l’objectivité pour mieux observer, pour mieux comprendre que sa vie se décide à chaque instant, mais que le seul décideur, c’est soi-même.

 

II/ Un environnement familial

Son père, agent immobilier et assureur de profession l’abandonnera dès sa naissance. Il ne le verra que deux fois : une fois le soir de sa naissance, puis quelques années plus tard dans la rue, lui à pieds aux cotés de sa mère, son père au volant de sa voiture, prenant la fuite en le voyant.

Il découvrira, par hasard, l’existence d’un demi- frère. Après s’être assuré que son intuition était bonne, sa mère demanda au petit garçon qu’il venait de rencontrer et avec qui, il jouait de s’en aller et annonça à son fils qu’il s’agissait en fait de son demi-frère. Il ne le reverra jamais.

Sa mère n’ayant pas désiré cet enfant, reprochera à ce fils sa naissance, mais aussi sa masculinité, tout au long de sa vie allant jusqu’à lui imposer des vêtements féminins afin de combler le manque de cette fille qu’elle aurait voulu avoir.

Doté d’un orgueil sans réserve, cette misandre n’hésitera pas à travailler nuit et jour, infligeant le même  sort à son fils tout au long de son enfance et ce, jusqu’à sa majorité et plus.

C’est à l’âge de 7 ans que Christian rencontrera celui qui deviendra rapidement son beau père et qui lui donnera son nom avant de transformer sa vie en cauchemar.

Tantôt abandonné, tantôt battu et réduit à l’esclavage par sa propre famille. Christian prouvera plus tard que nous ne sommes pas obligés de reproduire indéfiniment le schéma de ses parents. Que nous pouvons apprendre l’amour paternel sans l’avoir reçu. L’hérédité de la violence n’est pas une excuse, encore moins une fatalité.

 

III/ Ses blessures, ses échecs.

 

Suite à l’abandon de son père, Christian Faison s’est retrouvé seul avec sa mère dans un « foyer pour jeunes femmes en détresse».

Puis, sa mère troqua son nouveau poste de manutentionnaire pour un emploi de femme d’entretien dans les immeubles HLM acquérant ainsi un logement de fonction à faible loyer. C’est ici que Christian creusa un peu plus sa peur de l’abandon.

En effet, pour assumer cet emploi, sa mère le laissait seul dans l’appartement. Il était donc livré à lui-même chaque jour, plongé dans le noir le plus complet, alors qu’il n’avait pas trois ans. Dans son lit à barreau, prisonnier de l’obscurité, il pouvait passer des heures à pleurer, complètement apeuré, sans que personne ne vienne le consoler.

Lorsque sa mère rentrait du travail et que Christian avait dérangé l’appartement, la punition était de lui mettre la tête dans le lavabo rempli d’eau froide jusqu’à suffocation.

Malgré son infinie solitude et les humiliations permanentes infligées par sa mère, Christian était un enfant plein de vie. Vrai bout en train à l’école, il ne connaissait que trop bien l’importance de la vie et de la liberté. L’école était pour lui son seul terrain de jeu où il pouvait enfin profiter de la présence d’individus qui plus est, de son âge. Il développa alors une soif d’apprentissage inextinguible. En effet, il voulait tellement apprendre des autres, de lui, de la vie dans ce paysage sans nuage apparent.

Malheureusement, ce n’est pas comme cela que le corps enseignant analysa la situation. Pour lui, Christian ne pensait qu’à s’amuser en se moquant bien de l’apprentissage.

C’est alors qu’il fut menacé de redoublement s’il ne rattrapait pas son retard de lecture.

Malgré ce manque d’attention parentale et ce surplus de violence, c’est à l’âge de 7 ans que tout a basculé pour le jeune Christian. En effet, c’est à cet âge qu’il rencontra pour la première fois celui qui deviendrait son bourreau durant trois longues années.

Après une courte période de séduction de la femme mais aussi de l’enfant ne donnant aucun indice sur la face cachée de cet homme, les deux tourtereaux finirent par se marié le 11 Décembre 1971 offrant par la même occasion le nom « Faison » à ce Christian jusqu’alors en recherche d’identité.

Le déménagement vers ce qu’il crût, l’espace d’un instant « la maison du bonheur » marqua ainsi le tercet du malheur.

A peine passé le pas de la porte, Christian reçu une vague de coups incompréhensible, inattendue, injustifiable. Mais ce qu’il ignore encore, c’est qu’il ne s’agit là que d’un avant goût de ce qu’il devra subir dans les mois, les années à venir. A partir de ce jour, il vivra dans la violence et la peur omniprésente. Tantôt battu, tantôt inquiet pour sa mère venant de recevoir les coups.

A partir de ce jour, les règles sont claires : si Christian ne veut pas connaître la pension, il devra, avec sa mère, se rendre utile et rapporter de l’argent à son père adoptif. C’est ainsi qu’ils deviendront tous deux, les esclaves de leur tortionnaire, forcés à travailler dans les champs jusqu’à douze heures par jour, ajoutant ainsi de nouvelles humiliations et douleurs à leur supplice déjà subi au sein du foyer familial.

Au-delà des coups, Christian survivra aussi aux tentatives de meurtre de son bourreau qui lui pointera, à plusieurs reprises, son fusil sur la tempe. Ici, il ne s’agit pas de menaces puisqu’il ira jusqu’à tirer, l’arme sauvant sa victime in extrémiste en s’enrayant.

C’est à la suite d’un énième coup de folie, d’une intensité plus importante qu’à l’accoutumé, que Christian et sa mère, trouveront la force de s’échapper.

La famille monoparentale se retrouve alors à la rue, terrorisée par l’idée que leur tortionnaire ne les surprenne.

Recueillis par le frère de son beau père, puis la sœur de sa mère, ils finiront chaque fois par être découverts par leur tortionnaire.

Ils logeront ensuite dans des appartements vétustes et qui le deviendront un peu plus chaque jour.

En effet, pour payer leurs loyers, Christian travaillera auprès de sa mère une douzaine d’heures par jour. Fragilisant encore un peu plus sa santé et ses chances de réussite à l’école qu’il doit allier à ses activités nocturnes. Leur principale activité étant la récupération, le tri et la vente de matériaux, leur appartement servira durant de nombreuses années de centre d’entreposage laissant juste la place pour circuler entre les déchets et dormir.

Beaucoup d’entre nous, en pleine force de l’âge, nous plaignons des 35 heures par semaine. Quelque soit la météo, quelques soit les dangers de la rue, de la nuit, Christian atteindra et renouvèlera ce quota tous les trois jours, sans parler de ses journées d’école qu’un garçon de dix ans se doit d’assumer parallèlement. Lorsque le week-end nous motive à nous réveiller chaque matin, lui pense au toit qu’il ne doit pas perdre pour tenir éveiller chaque soir.

 

IV/ Sa réussite.

La première réussite de Christian Faison est l’apprentissage de la lecture. Même s’il peut nous paraître simple, avec le recul, cela reste l’une des disciplines primordiales dont l’apprentissage peut s’avérer complexe, plus encore pour Christian qui ne pense, à cet âge, qu’à apprendre l’étymologie du bonheur.

Après n’avoir qu’à peine survolé les bancs de la classe, et suite à une menace de renvoi, Christian, aidée de sa cousine, appris à lire en 48 heures avec pour seule motivation le fait de récupérer sa petite voiture préférée, confisquée par cette dernière.

Sa seconde réussite, la plus importante à mon sens, est la survie.

En effet, il a survécu aux coups, à la sous-nutrition, à l’esclavage, à la mort, se réconfortant durant des années en pensant qu’ « il parait que c’est arrivé à d’autres ». Se rattachant à Dick, le chien de son beau père, pour panser ses blessures physiques et morales, après chaque torture, il découvrit vite que certains individus du règne animal, sont bien plus humains que certains êtres de l’espèce humaine.

Celui qu’il surnommera « Le Père Douceur », aura la lourde tâche de l’accompagner dans les soins et la purification de son âme lorsque la haine et le goût de la vengeance viendront s’immiscer aux cotés de son innocence enfantine. C’est lui qui lui apprendra le pardon qui lui permettra bien plus tard de ne garder aucune rancœur de son passé.

Comme lors de ces premières années d’école, Christian Faison, connaitra des difficultés tout au long de ses études. Troquant alors la joie de vivre de sa petite enfance contre le poids du travail nocturne, de la faim, de la fatigue et des douleurs. Contre le poids de la détresse…

Pourtant, malgré les réticences dictées par sa profonde pudeur, il finira toujours par saisir les mains tendues. C’est ainsi qu’il réussira, avec l’aide de frère Marcel, à maintenir le cap tant bien que mal.

Par la suite, l’accompagnement de son  professeur principal de troisième alliée à son courage  et sa détermination le mèneront à une moyenne générale de 16/20, à l’obtention du BEPC ainsi qu’au tableau d’honneur.

En parallèle, alors qu’il n’a que 17 ans, Christian postule dans une station service. Essuyant un premier refus, il ne s’avoue pas vaincu. Puisque l’équipe est au complet, il propose au patron de créer son propre service. Grâce à sa persévérance et son audace, il deviendra alors son propre chef en fournissant du carburant aux nouveaux clients de la nuit.

Alors que son service contribue largement au succès florissant de la société et à l’augmentation de son chiffre d’affaire, Christian rencontre un ancien camarade d’école qui se met alors en tête de l’attirer dans un nouveau monde professionnel.

Malgré de grosses hésitations engendrées par son manque de confiance en lui, Christian fini par accepter le contrat de trois mois que lui propose le patron de cette vieille connaissance. Il entame alors, non sans difficultés, son stage préparatoire d’assureur où il apprendra à franchir tous les obstacles se posant en travers de son chemin, accédant ainsi à un second, puis un troisième trimestre de formation. Il devient ainsi chargé de secteur dans la vente d’assurance vie. Métier qu’il devra concilier aux nombreux autres qu’il continue à exercer aux côtés de sa mère, le soir et les week-ends.

En Mars 1986, il s’inscrit à un cours de vente, afin de réaliser son rêve d’être un jour diplômé. Parmi une cinquantaine de participants, pour la plupart déjà surdiplômé, Christian comprendra vite l’importance de ce qu’il a appris des rencontres survenues durant toutes ses nuits de dur labeur. Il se rend compte que les diplômes ne sont rien comparés à la connaissance de l’être humain en lui-même. Dans la vente, rien ne vaut la qualité des relations humaines.

Il sortira diplômé de cette formation, terminant huitième de sa promotion.

Malgré les hauts et les bas qui ponctueront sa carrière d’assureur, Christian poursuivra une évolution hiérarchique exemplaire, devenant agent de Maitrise, chargé d’inspection en décembre 1994. Mais cet autodidacte n’en restera pas là puisqu’il finira, deux ans plus tard, Major de promotion, sur le plan régional, à l’examen d’inspecteur d’assurance avec la note de 16.58/20.

En 1988, plus serein professionnellement, il s’accordera enfin de penser à sa vie sentimentale. C’est alors qu’il rencontrera Sylvie, la femme qu’il épousera le 24 mars 1992 contre l’avis de sa mère qui voue une haine sans nom envers sa compagne.

Cette femme lui donnera par la suite deux enfants : son fils, Christopher, né en 1993, puis sa fille, Aurianne, née en 2000.

Son désespérant espoir qui l’a, dans un premier temps, tenu en vie, a fini par lui prouver, par nous prouver que tout est possible. Malgré son enfance, malgré les démons dont son passé l’accable, Christian a su renaitre de ses cendres pour devenir un homme debout.

On dit que l’espoir faire vivre et Christian en est la preuve vivante.

En effet, même s’il a été obligé de subir la vie pendant de nombreuses années, il a toujours espéré une vie meilleure. Sans cet espoir, il n’aurait probablement pas survécu au quart de ce qu’il a affronté au cours de son enfance et de son adolescence. Sans cet espoir, aucune reconstruction ne lui aurait été possible. Sans cet espoir, la vie lui aurait tout simplement été impossible.

On a tendance à ne voir que nos problèmes. A force de les regarder, on finit souvent par les agrandir jusqu’à réussir à nous convaincre que nous sommes les seuls à vivre ce genre de choses. Pourtant, il faut toujours garder en mémoire que d’autres avant nous on subit ce que nous sommes en train de subir et qu’ils y ont survécu. Evidemment, chaque situation diffère de quelques détails, mais ce qui fait réellement la différence est l’angle de vue auquel on décide de se substituer. Personne d’autre que nous ne peut espérer pour nous. Nous sommes la seule personne capable de nous relever même quand se sont les autres qui nous ont lâchement mit à Terre avant de nous piétiner jusqu’à épuisement

 

Si l’histoire de Christian Faison vous inspire, je vous invite à lire son auto-biographie « J’ai dix ans et ma vie est un cauchemar » ainsi que « J’ai choisi de vivre« . (Il s’agit de liens d’affiliations)

 

Et toi, de quelle manière te représentes-tu les failles de ton passé ?

Te souviens-tu avoir espérer des jours meilleurs ?

Penses-tu que la lumière peut se créer au plus profond des ténèbres sans la force électromagnétique qu’exerce l’homme sur son destin ?

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