PATRICK BOURDET (Ou l’escalade de l’échelle sociale)

PATRICK BOURDET (Ou l’escalade de l’échelle sociale)

PATRICK BOURDET

(Ou l’escalade de l’échelle sociale)

 

Aujourd’hui, j’aimerai vous parler d’un homme qui, malgré une enfance dramatique a toujours su que tout était possible. Issu d’une famille pauvre où régnait chaque jour la violence Patrick Bourdet est aujourd’hui PDG de la Société AREVA.

 

I/ A l’état brut

Patrick Bourdet aura toujours la volonté d’évoluer en tant qu’être. Même s’il sera très tôt confronté au mensonge familial, il saura vite faire la part des choses entre l’individu qu’il est et l’environnement dans lequel il vit. Indépendant, il n’attendra l’approbation de personne pour partir à la conquête du bonheur. Courageux, ni l’enfant, ni l’adulte qu’il deviendra ne rechignera à la tâche. Il sait qui il est et il mettra tout en œuvre pour devenir celui qu’il veut être. Pour cela, sa plus grande alliée sera la curiosité. Ne pouvant étancher sa soif de savoir, il profitera de chaque étape de sa vie personnelle comme professionnelle pour s’abreuver de connaissance. Enfin sa persévérance, mènera ce passionné de football droit au but.

Patrick Bourdet sait ce qu’il veut et l’ambition est probablement la grande différence entre ceux qui montent l’échelle sociale et ceux qui en tombent avant même d’avoir gravit une seule marche. Sa curiosité inaltérable forcera son corps sain à se reposer sur la sanité de son esprit afin d’évoluer et de faire profiter l’humanité de chaque parcelle du potentiel acquit.

 

II/ Un environnement familial

Son père, André, décèdera à l’âge de trente-neuf ans, laissant ses trois enfants orphelins. Patrick n’a alors que quatre ans et ne le redécouvrira qu’à l’âge de trente ans, à travers deux photos. Dans ses derniers courriers, il demande à ses collègues policiers de retirer la garde des trois enfants à leur mère, alors alcoolique, pour les placer à l’Orphelinat mutualiste de la Police National, près de Bourges dans le Cher.

Sa mère, Nelly, née en 1949 à Cherbourg, dans une famille où régnait la pauvreté, sera alors rejetée par sa belle-famille. Agé de 21 ans et enceinte de son quatrième enfant, elle sera contrainte de fuir en Côte d’Or avant de se réfugier au Bassin D’Arcachon où elle décèdera en 2002.

Un an plus tard, sa petite sœur, Angélique, alors âgée de deux mois sera victime de la mort subite du nourrisson.

Son frère Pascal ainé, de deux ans, est le rebelle de la fratrie. Lorsque la violence s’emparera du domicile familial, il n’hésitera pas à rendre les coups qui déséquilibreront son environnement.

Sa sœur Line a un an de moins que Patrick. Plus tard, il ressentira une certaine culpabilité de quitter la « cabane » et de la laisser seule face à la violence.

La plupart d’entre nous sont tellement formatés par leur environnement qu’il est souvent difficile de dissocier la part caractérielle brut de la partie créée, forgée, parfois même travaillée jusqu’à frôler l’inauthenticité. Mais la force de Patrick Bourdet est l’objectivité dont il fera preuve. Malgré les sentiments familiaux qui lient chacun de nous à nos parents, il montrera qu’ils ne sont pas des chaines fusionnant chaque pensée, chaque vision, chaque addiction de nos ancêtres, à nos propres convictions, enfermant notre conscience dans un circuit continue. Il prouvera qu’au-delà des liens du sang, un circuit alternatif vital est possible.

 

III/ Ses échecs, ses blessures

La première blessure de Patrick Bourdet réside dans la mort de son père. Au-delà, du fait, il devra vivre dans le mensonge. Croyant son père décédé suite à des ulcères à l’estomac, il apprendra finalement, durant son adolescence, qu’il s’est suicidé à l’aide d’un fusil. Il souffrira du manque de souvenir mais surtout de ne pas avoir pu assister à l’inhumation.

En Septembre 1971, son oncle Léon accompagne les trois enfants à l’orphelinat d’Osmoy où ils passeront cinq années durant lesquelles leur mère ne leur rendra visite que quatre fois.

Le 7 Décembre 1972, sa mère sera jugée inapte de garder ses enfants, laissant Léon devenir leur tuteur légal, avant qu’elle ne perde aussi son droit de visite sans autorisation préalable.

Le 16 juin 1976, alors qu’il a neuf ans, Patrick, son frère ainsi que sa  sœur sont finalement autorisés à passer l’été chez cette dernière. C’est alors qu’ils feront la connaissance d’Henri, le nouveau compagnon de Nelly. Leur maison étant trop petite et les salaires du peintre en bâtiment de la Mairie de La Teste insuffisants, la famille décidera de s’installer dans la cabane de leur ami Christian. En échange de la réalisation des tâches ménagères, ils pourront ainsi y vivre sans payer de loyer.

Ce logement insalubre deviendra rapidement le lieu de tous ses cauchemars.

Tout d’abord, il devra composer avec la vétusté des lieux. L’eau des repas sera puisée dans le puits à cent mètres de la cabane à l’aide d’un seau dans lequel chacun plongera son verre lors des repas, tentant d’éviter les insectes et les branchages. En guise de WC, ils devront chaque fois creuser des trous autour de l’habitation puis les reboucher, après s’être essuyés avec du papier journal, ou, à défaut, avec des branches de genets pliées en deux. Ne disposant pas d’électricité, il ne faudra pas oublier de faire du bois pour se chauffer l’hiver au risque de se retrouver congeler comme le fut un jour, Kiki, le chien de la famille. Le magasin le plus proche se trouvant, tout comme l’école, à six kilomètres à pieds, les bouteilles de gaz constitueraient une charge trop importante. C’est pourquoi, le feu de bois servira aussi à cuisiner. La nourriture sera stockée dans une « petite boite en bois avec parois en toile plastique à fines mailles » qui leur servira de garde manger malgré les intrusions intempestives des vers blancs. Parfois, par flemme de réchauffer l’eau, Patrick se résoudra à se laver à l’eau froide durant l’hiver. En été, il effectuera ses soins corporels au savon de Marseille dans une « grande laveuse en acier galvanisée » près du puit. Néanmoins, lors des sorties d’école à la piscine, il peinera à cacher ses pieds noircis par les heures de marches dans la poussière des bois. Les bois habités par ceux dont il se sent le plus proche, ceux auprès desquels il trouve l’amour, la force et la compassion : les arbres.

En effet, au-delà des carences matérielles, Patrick Bourdet devra surtout apprendre à vivre dans un environnement dénué d’humanité. Sous l’emprise de l’alcool combiné aux médicaments, Nelly, Henri et Christian, en viendront souvent aux mains. Pire encore, puisque fréquemment, ces dernières seront armées de couteaux, de haches ou encore de fusils de chasse. Les trois enfants n’ayant pas la force de les séparer deviendront à leur insu les jurés de ces scènes sans témoins. Malgré ses nombreuses tentatives pour éloigner sa mère de l’alcool, il sera contraint d’assister, impuissant, à sa défaite contre ses addictions qui l’emporteront définitivement en 2002. Incontrôlable sous l’emprise de ses substances, il arrivera qu’elle s’en prenne à ses enfants. C’est ainsi que Patrick se retrouvera, un jour, avec le pied d’un réveil planté dans la main, initialement destiné à son visage. Suicidaire, de surcroit, il se verra, une autre fois, enfermé dans les toilettes avec sa mère qui tiendra absolument à ce qu’il reste à ses cotés pendant qu’elle se tranchera les veines avec des lames de rasoir.

Patrick passera ainsi son enfance, balloté entre les différents logements qu’Henri louera lorsque ses pensions et allocations le permettront, et la cabane délabrée. Cette dernière se verra métamorphosée en logement propre et rangé avant chaque visite de la DDASS. L’annonce de ces visites laissera le temps à la mère de famille de s’éloigner des bouteilles pour renouer avec ses esprits, laissant ainsi le silence sur les conditions de vie de ses enfants intacte. Malgré les ballets de policiers et de pompiers au domicile familial, la DDASS n’aura jamais vent de la tornade qui détruira l’équilibre de la fratrie.

Alors qu’il faut généralement mener des enquêtes de grandes envergures pour retirer la garde de leurs enfants à des parents maltraitants, Patrick Bourdet d’abord mis en sécurité, sera finalement réintégré dans sa famille grâce à un simple jugement. Son histoire nous prouve une fois de plus que notre société éprouve plus de facilité à fermer les yeux sur la détresse de ses citoyens qu’à la regarder en face et assumer son rôle de défenseur. La lâcheté de notre Etat, en tant qu’entité, et son égoïsme de vouloir garder la paix pour lui, plonge finalement des milliers de particules de l’humanité dans les ténèbres de l’oubli, de l’indifférence, de la souffrance, formant ainsi un océan de détresse au cœur même de notre institution. Peut-être serait-il temps pour notre pays, et le monde entier, de prendre pleine possession du rôle indispensable de protection de l’humanité.

 

IV/ Sa réussite

Malgré son enfance, Patrick Bourdet est persuadé qu’un jour, il partira loin de cette cabane et de cette violence, pour conquérir la vie telle qu’il l’a conçoit, pour conquérir sa vie. C’est ainsi qu’il prendra peu à peu ses distances.

Patrick Bourdet comprendra rapidement que le meilleur moyen de gagner son indépendance sera de gagner son propre argent. C’est pour cela qu’il enchainera les petits contrats dès son adolescence commençant par le métier d’ostréiculteur.
Durant son année de quatrième, son entraineur lui proposera de l’emmener passer des épreuves d’admission pour entrer dans une école de sport-études. Il acceptera alors de redoubler sa quatrième afin d’intégrer cet internat qui lui permettra de prendre ses distances avec la cabane. Au-delà de l’apprentissage scolaire et sportif, Patrick apprendra beaucoup sur la vie et les rapports humains en découvrant un univers équilibré et équilibrant, bien loin de son environnement familial. Malgré ses bons résultats, sa mère n’ayant jamais réglé les frais de scolarité, il sera dans l’obligation de quitter l’école à la fin de l’année.
Un an plus tard, il obtiendra, sans trop de travail, son BEPC au collège de La Teste.
Les ventes d’espadrilles qu’il effectuait en parallèle de ses cours deviendront vite insuffisants à son gout. Désireux de quitter la précarité le plus rapidement possible, il décidera de passer un CAP Mécanicien au garage Lanine d’Arcachon. Son frère travaillant déjà dans l’entreprise, sa maladresse lors des examens pratiques ne sera pas une embuche pour son embauche. Son patron ne doutant pas un seul instant de son courage, lui donnera sa confiance à travers un contrat au salaire mensuel de 450 francs. Pour Patrick Bourdet, c’est le début de la richesse.
En exerçant ce métier difficile de par l’amplitude horaires et les fréquentes blessures causées par les outils, il développera un grand respect envers « ceux qui travaillent dur et se lèvent tôt pour aller gagner leur vie ». Il y cultivera aussi sa détermination. Le garage étant à des heures de marche de la cabane, il finira par dormir dans les voitures des clients, puis dans une tente prêtée par un copain.
Il quittera définitivement la cabane à l’âge de seize ans, après avoir découvert un impact de Brenneke au-dessus de son oreiller. Christian avait alors cherché à réveiller un voisin qui s’était endormi sur le lit.
Il passera la première nuit dans la cabane de la belle famille de son frère, avant d’être accompagné au Tribunal de Bordeaux par Monsieur Taris, l’éducateur qui l’avait suivi à La Teste. Sa mère ne se présentant pas à la convocation, la juge lui laissera le choix entre la DDASS et une nouvelle vie chez son entraineur de football. C’est ainsi qu’il vivra chez Jean-Claude Garnier et sa femme, Sylvaine Phelippot, jusqu’à l’obtention de son CAP.
Alors qu’il découvrira la plénitude d’un environnement sain, il devra, parallèlement, faire face à la perte de son emploi. Le garage de Lanine ayant prit feu, il sera quand même autorisé à passer son diplôme qu’il obtiendra avec soixante quatorze points d’avance.
Il retournera alors vivre en Normandie, où il décrochera un emploi saisonnier en tant qu’aide-livreur dans une entreprise locale de négoce de vins et de spiritueux. Ses journées dont il dédramatisera la difficulté en repensant au temps où il était débroussailleur forestier lui rapporteront 3500 francs mensuels. Il s’estime alors « chanceux et fortuné ».
C’est en 1984, à l’âge de dix-sept ans, qu’il décrochera son premier CDI en tant que technicien de surface à l’Arsenal de Cherbourg. Grâce à son  salaire de 3800 francs, il occupera alors un studio de trente mètres carrés, repoussant un peu plus sa peur de la précarité.

Malgré son évolution au sein de l’entreprise, il décide finalement de passer les tests de recrutement de la société Cogema alors à la recherche d’un opérateur de fabrication. L’entreprise fera ainsi confiance au jeune homme de vingt-et-un ans, lui offrant de surcroit la possibilité d’accroitre ses connaissances à travers de nombreuses formations internes comme externes.
Prenant une pause dans sa chasse au diplôme, Patrick prendra une année sabbatique pour réaliser son rêve de partir en Australie. Durant son voyage, il retrouvera une amie avec qui il avait sympathisé à la gare de Saint Lazare en l’aidant à porter ses valises. Elle lui apprendra par la  suite qu’elle avait éprouver une grande gratitude face à son geste, car épuisée, elle rentrait d’une lourde chimiothérapie. A son retour en France, il reprendra vite sa course aux connaissances, ne cessant d’évoluer professionnellement. Avant qu’il ne se rende compte lui-même de son potentiel, AREVA voit en lui l’avenir de l’entreprise, à tel point qu’il accepteront de financer les études qui le mèneront à l’obtention d’un master en management. Ce même jour de 2003, il apprendra la défaite de son amie Australienne, contre le cancer. Si Annie n’a pas eu la chance de s’en sortir, Patrick commencera une course contre la montre pour les milliers de malades encore guérissables. En effet, c’est en cherchant le thème de son mémoire de fin d’étudie exigé par son responsable, que le rapprochement entre les métaux
radioactifs présents dans l’usine et la radio-immunothérapie. Malgré les réticences des dirigeants et les enjeux conomiques, l’idée de convertir des déchets radioactifs en médicaments contre le cancer séduira la société qui décidera de créer AREVA MED en 2009. L’enfant de la cabane devient alors PDG de la filiale qui obtiendra le prix de la fondation Clinton ainsi que la médaille Marie Curie de la société française de l’Energie Nucléaire.

On pense souvent notre naissance déterminante sur notre avenir. Si ça n’est pas faux, cette croyance souffre souvent d’une mauvaise interprétation. En effet, la pauvreté et les souffrances dont un enfant peut être victime ne sont pas le miroir de l’adulte qu’il deviendra. En revanche, la vision des faits et la gestion des failles sont capitales dans l’évolution de chaque individu. Patrick Bourdet aurait pu subir la vie que son environnement lui imposait et se dire que son avenir était
là, dans la pauvreté et la violence. Mais si une si grande distinction existe dans la langue française entre le passé, le présent et le futur, ça n’est sûrement pas pour rendre leur pratique identique. Il aurait aussi pu penser que le cancer est une maladie invincible et que nous ne pourrons jamais rien faire pour la vaincre définitivement. Selon moi, le présent, au-delà de vivre, au-delà d’apprendre, au delà d’être, est la grande passoire de notre vie. Le présent est l’instant où nous pouvons
regarder en arrière pour récupérer les déchets passés pour en récupérer uniquement les nutriments transformables en énergie nécessaire au but à atteindre. Patrick Bourdet a, à chaque étape de sa vie, repensé à la précarité, non pas pour se plaindre sur son sort, mais pour trouver l’énergie de la dépasser, de la semer, pour ne plus jamais la rencontrer. De la même façon, la pensée de la maladie puis du décès de son amie, l’ont poussé à trouver des solutions pour sauver les malades actuels et futurs.

Si l’histoire de Patrick Bourdet vous inspire, je vous conseille de lire son autobiographie « Rien n’est joué d’avance« , sur laquelle je me suis appuyée pour la rédaction de cet article. (Ceci est un lien d’affilié)

Et toi laquelle de tes souffrances passées pourrais-tu passer dans la passoire de ta vie ?
Que pourrais-tu construire d’extraordinaire à partir des déchets de ta vie ?

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